"Que diable allait-il faire dans cette galère ? [...] Va-t'en, Scapin, va-t'en vite dire à ce Turc que je vais envoyer la justice après lui. - La justice en pleine mer ! Vous moquez-vous des gens ?" (Molière, Les Fourberies de Scapin, II, 7).

Fallait-il accueillir Erdoğan à l’Élysée ? Certes, il y eut des précédents récents, aberrants : la venue de Kadhafi en décembre 2007 censée "marquer une étape significative dans le retour progressif de la Libye au sein de la communauté internationale" (sic), selon l’Élysée d'alors (quatre ans avant de la bombarder). Et Bachar el-Assad pour le défilé du 14 Juillet 2008. Macron fera-t-il pire que Sarkozy ? C'est bien parti.

Les impératifs constants d'une diplomatie sérieuse sont l'intérêt national et l'entretien de relations de bon voisinage... avec les voisins. Il n'y a donc rien d'incongru à ce que les chefs d'État français échangent avec les Turcs (pas si voisins que cela). La France le fait depuis François Ier (cerné par les Habsbourg), signant avec Soliman un accord dont les clauses sur les lieux saints ont été, depuis, validées par Israël et les Palestiniens. Ce dont l’Élysée ne sait pas se servir.

Mais beaucoup d'eau a coulé dans le Bosphore depuis le décès d'Atatürk, dont le séculaire héritage laïc, démocratique, égalitaire est systématiquement détruit par Erdoğan. La Turquie se radicalise, pourchasse les Kurdes, les opposants, les juristes, les journalistes, les militaires, les enseignants, a emprisonné 200.000 personnes et en a révoqué au moins autant de la fonction publique, sans solde ni retraite...

La Turquie reçoit des sommes considérables de l'Union européenne, tant en vue d'une chimérique entrée dans l'Union que pour l'aider à supporter le poids des réfugiés syriens et irakiens. Selon le décompte fourni par la Commission européenne (Europe 1, 20 avril 2017), elle a reçu sept milliards de l’Europe et six milliards supplémentaires doivent lui être versés dans les trois ans à venir (dont trois milliards promis pour la gestion des réfugiés). La France, compte tenu de sa contribution au budget de l’Europe, a versé à elle seule plus d’un milliard à la Turquie. Contribuables et retraités apprécieront.

En juillet 2017, le Parlement européen s’est prononcé, par 477 voix, pour la suspension des négociations d’adhésion à l’Union européenne de la Turquie si elle met en œuvre sa réforme constitutionnelle pré-dictatoriale en 2019 et a demandé à la Commission et aux États de suspendre sans attendre les négociations d’adhésion si cette réforme est mise en œuvre, en violation des critères de Copenhague (État de droit, démocratie, droits de l’homme). Rappelons aussi que la Turquie occupe militairement une partie de Chypre (État membre) depuis quarante ans, avec colonisation (100.000 continentaux) et création d’un pseudo-État mafieux. On se souviendra aussi de la grossièreté avec laquelle Erdoğan était venu tenir un meeting électoral en octobre 2015 pour l'AKP à Strasbourg. Du jamais-vu.

On ajoutera un incident toléré, vendredi, sans moufter par le junior de l’Élysée : Erdoğan s'est emporté contre un journaliste l'interrogeant sur la supposée collusion turque avec Daech.

La relation d'Emmnanuel Macron avec les médias pose désormais problème : on se rappellera son attaque, à Versailles, devant Poutine, contre Russia Today et Sputnik News. Et, à présent, son projet de renforcement des sanctions contre la médiatisation de fausses nouvelles. Quant à son amateurisme diplomatique avec Erdoğan et la Turquie, il nous rappelle un autre épisode désolant : l'humiliation délibérée, dans son pays, du président burkinabè ("Reste avec nous" ; "il va réparer la clim"). La liste des "bizarreries"' (selon le mot de Catherine Nay) s’accroît : après les "gens qui ne sont rien", il disait, lors de l'exercice de flagornerie de Delahousse, en parlant des Français : "Mon peuple". Allô, Dr. Freud ?

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07 janvier 2018 à 7:54

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