L’OTAN en état de mort cérébrale ? Mise en perspective d’une déclaration intempestive

soldat français OTAN

Le président Macron déclare avec une solennelle gravité la « mort cérébrale de l'OTAN ». Cette déclaration intempestive est considérée par euphémisme diplomatique comme radicale et excessive par de hauts responsables internationaux, dont la chancelière allemande. Qu'est-ce que cela révèle ?

Emmanuel Macron semble vouloir exploiter une conjoncture compliquée comme prétexte pour régler définitivement son compte à l’OTAN, quitte à jeter le bébé sécuritaire avec l’eau du bain politique. Pour se donner l’image du bâtisseur d’un ordre mondial alternatif qui mettrait en avant une nouvelle Europe-puissance, dans laquelle il projette aussi son avenir personnel de futur jeune président retraité. On sait pourtant que, par sensibilité historique et susceptibilité nationale, peu de pays européens veulent d’une Europe-puissance dans laquelle le pilier franco-allemand jouerait un rôle dominant.

De fait, la menace de déséquilibre démographique et culturel de l’Union européenne par l’intégration d’une Turquie islamo-nationaliste semble écartée durablement. Pour autant, son dirigeant actuel ne boude pas son plaisir de laver l’affront en créant la zizanie au sein de l’Alliance dont il a été longtemps considéré comme le meilleur élève, par un rapprochement politique et militaire avec la Russie qui lui donne les coudées franches pour régler ses comptes avec les Kurdes.

Prétextant la situation baroque d’une clause, désormais inapplicable, d’intervention collective de l’OTAN au secours d’un membre agressé (article 5), Macron a tiré inconséquemment un boulet auquel la France s’est elle-même attachée depuis qu’elle a officiellement réintégré la structure militaire intégrée de l’Alliance en 2009, après l’avoir quittée en 1966.

Dans cette perspective, dès 2004, la France y a ouvert une centaine de postes militaires français. Parmi eux, votre serviteur a ouvert le premier poste d’officier français au sein du bureau opérations spéciales du commandement stratégique opérationnel de l’Alliance (Special Ops Office, SHAPE, Mons), occupé depuis « la nuit de l’OTAN » par des Britanniques et des Américains. Vivant de l’intérieur une profonde remise en question de l'Alliance, les travaux de conception et de planification portaient alors principalement sur la sécurisation des approvisionnements en énergie ; la sécurisation d’événements de portée internationale (comme les JO d’Athènes en 2004) ; et, ironiquement, sur la défense contre le terrorisme sous toutes ses formes, dont la Turquie hébergeait et commandait alors le "Centre d’excellence" au vu de sa position géographique et de son expérience contre… les Kurdes.

Officiellement, l’Alliance devait coûte que coûte survivre comme plateforme d’échanges transatlantiques. En réalité, elle représentait pour les membres les plus influents – États-Unis en tête - un fabuleux enjeu d’influence et de profit économique au travers des achats d’équipements, des normes et des standards. Alors que la France recherchait avant tout les postes à forte visibilité, les Américains et les Britanniques occupaient les postes clés de décision et d’influence. Le commandement stratégique opérationnel ("Allied Command for Operations", ACO, Mons, Belgique) étant réservé aux Américains et à un Européen non français, la France s’est vue depuis confier celui de son équivalent chargé en premier lieu de concevoir et de proposer les nouvelles missions otaniennes ("Allied Command for Transformation", ACT, Norfolk, États-Unis).

Alors que le président français diagnostique « la mort cérébrale de l’OTAN » dont ses représentants sont chargés de penser le futur, qu’est-il sorti concrètement depuis quinze ans des têtes pensantes d’ACT et quelle est sa vision pour le monde de demain ?

Car, pour passer de la déconstruction à la proposition, la communication ne suffira pas. Sinon, c’est le vent qui emportera l’OTAN.

Jean-Michel Lavoizard
Jean-Michel Lavoizard
Ancien officier des forces spéciales. dirige une compagnie d’intelligence stratégique active en Afrique depuis 2006

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