Livre / « Moi, Emmanuel Macron, je me dis que… », par Philippe Bilger

C’est un livre audacieux que vient de publier Philippe Bilger. Audacieux, car si rentrer dans la peau d’un autre est toujours un exercice difficile, s’y essayer du vivant de l’intéressé est encore plus périlleux. Il s’intitule Moi, Emmanuel Macron, je me dis que… et parle à la première personne, l’auteur s’effaçant derrière son sujet pour mieux l'introspecter. Le monologue imaginaire est dédié "à tous les passionnés de politique et de psychologie…".

Qui suit Philippe Bilger sur son blog ou sur Boulevard Voltaire sait que le personnage Macron, dès le début de sa fulgurante ascension, le passionne et l'intrigue. Il est vrai que Philippe Bilger peut revendiquer la paternité du fameux "en même temps", bien avant qu’il ne passe à la postérité. Est-ce professionnel ou naturel ? À moins que Philippe Bilger n’ait choisi sa profession en raison de cette disposition ? Des jugements dignes du roi Salomon l’ont, on l’imagine, forcé à peser, mettre en balance ou à renvoyer dos à dos. La pâte humaine n’est jamais manichéenne. Si l’on devait résumer le magistrat Philippe Bilger d’un mot, ce serait "nuance". Et c’est cette quête permanente de la nuance pour toucher au plus près de la vérité qui a fait sa réputation d’honnêteté et d’inclassabilité. On imagine aisément qu’une personnalité cultivant l’ambiguïté jusqu’à la contradiction pour tenter le pari du consensus comme Emmanuel Macron ne pouvait que le fasciner : "On ne me fera grâce de rien. On ne me passe rien. Parce qu’on ne me comprend pas. […] Comme le monde aime les positions sommaires, péremptoires, comme il raffole des analyses hémiplégiques qui rassurent la plupart des esprits parce que l’effort à accomplir est moindre et que les choses apparaissent ostensiblement noires ou blanches". Ces propos que Philippe Bilger met dans la bouche d’Emmanuel Macron sont, on le sent, d’abord les siens. On ne sait qui est le ventriloque de l’autre et c’est toute la finesse de ce livre.

Certains verront dans ces confidences d’un Bel-Ami doté d’une bonne étoile et d’une jolie mécanique intellectuelle une hagiographie. Il apparaît lisse, gentil garçon, aimant avec sa femme et reconnaissant - quoique lucide - envers ses mentors (Attali, Ricœur, jusqu’à Hollande lui-même…), jamais réellement méchant avec ceux qui croisent sa route - Bayrou, Valls, Sarkozy -, sur lesquels il pose un regard dépassionné d’entomologiste. Sauf qu’il ne faut pas oublier que c’est Macron lui-même qui se raconte et peut-être cette confession n’est-elle, après tout, qu’une vaste opération de communication bien maîtrisée comme le jeune Président - plus machiavélique qu’angélique ? - les affectionne… Vérité ou faux-semblant ? Philippe Bilger laisse le lecteur dans le doute. C’est UN portrait, et non LE portrait. Jean Anouilh a commis des pièces roses, noires, brillantes, grinçantes et costumées, Philippe Bilger vient d’écrire un Macron rose, brillant et costumé, peut-être le dépeindra-t-il plus tard noir et grinçant. Ce livre qui se termine par un point d’interrogation - "Emmanuel Macron en vrai ?"  » - laisse la porte ouverte à toutes les interprétations.

Dans cette montée alerte vers l’Olympe, Macron ne reconnaît finalement qu’un échec, un vrai - les autres n’ont été que des leçons salutaires -, et ce caractère unique lui donne d’autant plus d’importance : sa gestion désastreuse de l’affaire Villiers. La démission du général a été une victoire à la Pyrrhus, il suppute qu’elle pourrait être son talon d’Achille. La dernière page, au-delà de ce seul incident, lâche une inquiétude : "Je devine ce qui me menace…", comme la promesse d’un deuxième tome moins souriant.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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