Livre : Les parrainages. Ou comment les peuples se donnent des maîtres, de Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois

Rouvillois

Les parrainages (juridiquement dénommés « présentation des candidats à l'élection présidentielle ») sont, à la fois, le psychodrame et le marronnier de la Ve République. À chaque échéance électorale se profile un insupportable spectre antidémocratique, que le constitutionnaliste Frédéric Rouvillois qualifie d’« oligarchie de fait » (FigaroVox, 22 janvier 2022).

La loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel prévoyait initialement un parrainage de « 100 signataires » figurant parmi « des élus d’au moins 10 départements ou territoires d’outre-mer différents ». Ce souhait du général de Gaulle visait à conjurer l’avènement à la fonction suprême de « l’énergumène qui jettera le trouble », tout en préservant l’élection présidentielle de toute entreprise de captation par les partis politiques. Puis, dans l’objectif d’éviter des candidatures « fantaisistes » ou liées à « la défense d’intérêts locaux », la loi organique du 18 juin 1976 portera le nombre de parrainages à 500 (alors rendus partiellement publics à raison de 500 noms tirés au sort, par candidat), tout en augmentant significativement le seuil de provenance territoriale des élus (30 département au lieu de 10), jusqu’à ce qu’en 2016, la publication intégrale et bihebdomadaire des parrainages par le Conseil constitutionnel soit rendue obligatoire.

Dans ce brillant essai, publié en partenariat avec la fondation du Pont-Neuf – think tank conservateur présidé par l’homme d’affaires Charles Beigbeder –, les juristes Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois dressent cet état des lieux juridique, tout en effectuant un parallèle aussi pertinent que saisissant avec le suffrage censitaire en cours sous la Restauration et la monarchie de juillet, qui consistait « à distinguer deux catégories de citoyens, les passifs et les actifs, en se fondant sur le montant de l’impôt acquitté », laissant ainsi suggérer implicitement que « ceux qui possèdent […] sont vraisemblablement plus compétents que ceux qui n’ont rien ». Le système des parrainages renforcés en 1976 part de la même idée en se fondant désormais sur la double présomption de la capacité élective des 42.000 parrains et l’incapacité des autres, soit « les citoyens ordinaires, le peuple donc ».

Justifiable en pratique mais insoutenable au regard des principes démocratiques, ce suffrage universel restreint et perverti – parce qu’annexé – par la médiacratie sondagière présente, en outre, pour les parrains, le redoutable danger d’être politiquement exposés quand, par surcroît, constate-t-on systématiquement « des divergences […] entre les choix des parrains et ceux des électeurs ».

Écartant les fausses solutions (statu quo, « charité républicaine » par octroi de signatures aux candidats nécessiteux, le double parrainage – républicain et de conviction –, le parrainage par les partis), nos deux constitutionnalistes en esquissent de « moins mauvaises » : retour à la loi de 1962, anonymat total, parrainages des conseillers municipaux (512.266 élus, tout de même !), parrainage citoyen non public, « la solution la plus clairement démocratique qui soit » (et adoubée par la commission Jospin en 2012) qui emporterait leur assentiment.

Toutefois, comme le soulignent les auteurs, « la question au fond est de savoir si le peuple français […] acceptera encore longtemps d’être considéré comme un mineur ou un majeur sous tutelle »

Aristide Leucate
Aristide Leucate
Docteur en droit, journaliste et essayiste

Vos commentaires

11 commentaires

  1. Qu’on mette un filtre parait indispensable mais il ne doit pas être mis en œuvre par des élus qui sont de plus en plus critiqués. C’est un déni de démocratie que la manière dont les élites peuvent empêcher certains candidats de se présenter. Candidat de droite évidemment

  2. Dernier post (c’est promis!) Il existe un moyen pour les partis en manque de parrainages de les obtenir. Ce moyen c’est de faire appel à leur base militante ou à leurs adhérents, pour que ceux-ci sollicitent directement les maires (ou les élus locaux) des communes où ils ont leurs attaches particulières et uniques. (communes de naissance, de scolarité, de travail ou de résidence). A ces mouvements de fournir les lettres-types, la procédure et la méthode (courtoisie, pédagogie…) c’est jouable.

  3. Le principe d’un Maire un parrainage fonde une inégalité politique flagrante : des communes urbaines peuvent compter cent ou mille fois plus de citoyens que les communes rurales. Si les élus ruraux ne se sentent pas concernés par l’ouverture de l’offre politique, alors une barrière aux nouveaux acteurs politiques est mise en place pour la présidentielle. Celle-ci perd en légitimité nationale. Conséquence : aucun Gouvernement ne sera légitime avant le vote de confiance de la nouvelle Assemblée.

  4. Si trop peu d’élus font acte de parrainage présidentiel, c’est aussi parce que les collectivités locales sont trop dépendantes de l’Etat et du mille-feuilles territorial. Une plus grande autonomie budgétaire et réglementaire, assortie d’une plus grande responsabilité de gestion est souhaitable pour restaurer notre principe constitutionnel de « libre administration » des collectivités locales. La suppression de la Taxe d’Habitation est précisément le contraire d’une saine gestion locale.

  5. 40 000 élus semblent a priori assez nombreux pour parrainer les candidats à la présidentielle. En réalité c’est peu, chaque candidature (active ou potentielle) nécessitant 500 élus. Le total théorique des candidatures est de 80. Si 3/4 des élus locaux font la « grève des parrainages » par conformisme ou pusillanimité, alors seuls 20 candidatures peuvent émerger, moins si certains candidats recueillent des voix surnuméraires. Le compte n’y est pas.

  6. Suppression simplement de ce dénie de démocratie !tout un chacun a le droit de se presenter ou pas ,il faut simplement poser quelques jalons

  7. Cela montre surtout la lâcheté de nombreux politiques élus qui n’osent pas prendre position et qui s’étonnent d’êtres de plus en plus menacés par la population. Comme l’Etat leur seules préoccupations est de faire des taxes et de se remplir leur porte feuille.

  8. « ceux qui possèdent […] sont vraisemblablement plus compétents que ceux qui n’ont rien »

    N’est-ce pas l’alpha et l’oméga d’un certain président qui commence, après 5 ans de pouvoir, à aimer « ceux qui ne sont rien » ? Et … qu’il lui faut encore un quinquennat pour les « aimer » pour de bon !!

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