À la fin des années 1950, le psychanalyste Erich Neumann (1905–1960) publie un livre consacré au sculpteur anglais Henry Moore. À cette époque, l’artiste est déjà célèbre pour ses sculptures monumentales. Souvent inspirées de cultures anciennes, beaucoup d’entre elles se caractérisent par leurs silhouettes féminines et maternelles. C’est ce qui retient l’attention de Neumann, qui considère qu’une œuvre d’art n’est pas seulement le produit de l’imaginaire d’un artiste mais aussi l’expression de l’esprit du temps, le Zeitgeist. Pour le psychanalyste, chaque culture, à chaque époque, est déterminée par des archétypes, des images et des symboles inconscients. Les sculptures de Moore témoignent, d’après lui, de l’avènement d’une nouvelle ère marquée par le déclin du modèle patriarcal et l’affirmation progressive de l’archétype de la « Grande Mère » et de l’univers matriarcal.

La décennie suivante donnera pleinement raison à son intuition. Révolte plus existentielle dans sa version américaine et plus politique dans sa version française, la contre-culture des années 60 sera avant tout une attaque contre la paternité. Art, écologie, défense des minorités, révolution sexuelle, pacifisme, spiritualités orientales, drogues ; la contestation se répand dans une multitude de domaines avec une volonté de rupture qui vient ébranler les représentations fondatrices des sociétés occidentales. Dans le prolongement de la mort du Dieu-Père proclamée au XIXe siècle, les révolutionnaires-adolescents s’emploient alors à effacer la moindre trace de la figure paternelle : autorité, loi, transmission, différenciation… Cependant, si « Dieu est mort », selon la formule consacrée, ce qui prend sa place n’est pas l’individu désaffilié mais la Grande-Mère dont l’archétype émerge à nouveau dans l’inconscient collectif, comme Neumann l’avait compris.

Le 26 juillet dernier, une des figures inspiratrices du mouvement écologiste et du renouveau d’un sentiment mystique de la Terre-Mère, le scientifique britannique James Lovelock, est décédé à l’âge de 103 ans. En dehors de Libération, peu de médias se sont intéressés à la disparition d’un vieil homme souvent considéré comme un gourou New Age. Ses théories auront pourtant été représentatives de l’« esprit du temps » et du changement de paradigme à l’œuvre dans la culture occidentale depuis plusieurs décennies.

Lovelock est en effet célèbre pour avoir élaboré « l’hypothèse Gaïa », du nom de la déesse de la Terre-Mère de la mythologie grecque. Dans un livre publié dans les années 1970, il développe la théorie selon laquelle la Terre constitue un système autorégulé qui « maintient notre planète depuis plus de trois milliards d'années en harmonie avec la vie ». Pour Lovelock, tout le spectre du vivant sur la Terre « peut être considéré comme formant une entité vivante unique » dotée « de facultés et de pouvoirs bien supérieurs à ceux des parties qui la composent ». Si l’utilisation du nom de la déesse est présentée par Lovelock comme avant tout métaphorique, les théories Gaïa donneront lieu, sur des bases présentées au départ comme scientifiques, au développement de croyances holistiques qui divinisent la Nature et que l’on retrouvera dans le courant New Age.

Parallèlement, un féminisme de combat élaborera un nouveau récit des origines mettant en scène un âge d’or du matriarcat auquel a succédé une chute dans l’âge sombre du patriarcat. Dans les années 1970, l’archéologue Marija Gimbutas émettra l’hypothèse d’une civilisation pré-indo-européenne, pacifique et vivant en osmose avec la nature, dénommée « culture préhistorique de la déesse », qui aurait été détruite par les tribus indo-européennes de type patriarcal qui ont imposé leur culture de domination et de conflits. Une nouvelle mythologie se développe ainsi à partir du retour d’un divin maternel et fusionnel, immanent au monde, et porteur d’un système de valeurs féministes et écologistes.

Plusieurs décennies plus tard, nous continuons à ressentir les conséquences de ce changement de paradigme qui, en tentant de s’affranchir de la loi du père et donc de l’institution de la limite, provoque une genèse à l’envers : là où le Dieu-Père biblique, à partir du chaos primordial, sépare pour relier, la Grande-Mère efface les limites pour fusionner. Il ne doit donc plus y avoir ni frontières, ni identités ethniques, culturelles ou sexuelles. L’antispécisme contribuant, de son côté, à effacer la distinction entre l’homme et l’animal. Un monde indifférencié sur lequel règne l’ombre tutélaire de Gaïa.

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05 août 2022 à 20:05

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11 commentaires

  1.  » Les révolutionnaires adolescents s’emploie,t…la figure paternelle »: souvent cette figure paternelle n’a guère résisté; c’était l’époque du copain-copain durant laquelle on voulait tout expliquer et tout comprendre et surtout ne mettre aucune limite. On voit le résultat: JE me permets TOUT.

  2. Charabia bien monté. Dans la nature, c’es la lutte pour la vie. Seules quelques espèces intelligentes et organisées socialement sont parvenues à se dégager un peu de temps libre pour faire autre chose que se nourrir eux et leurs petits et ce aux dépends des moins évolués. Ouvrez les yeux. Imaginez détricoter les liens sociaux et voyez ce qui se passerait

  3. Analyse intéressante : il y a une cohérence globale entre Gaïa, le matriarcat, le culte de la Nature et l’écologisme radical, le féminisme excessif (il faut « déconstruire l’homme » selon Sandrine Rousseau), la PMA réservée aux femmes où le père est éliminé en tant que personne.
    Certains y verrons l’opposition entre la Mère, identifiée à la Terre et le Père, identifié au Ciel ; on peut aussi y voir une complémentarité entre la mère et le père, entre la Terre et le Ciel, entre la Femme et l’Homme.

  4. Chacun sa tache le chasseur se reposait d’une chasse qui l’avait nené aux confins du connu
    les dames se chargeaient de garder les denrées et boucanet les viandes
    le gamin de cinq ans tout en restant dans les jupes des femmes regardait le chasseur conter les exploits du clan, le courage et la mort duvaillant

  5. C’est vrai, pas compris grand chose à ce texte que j’ai fini par lire en diagonale… Pour moi la femme n’est pas supérieure à l’homme, l’homme n’est pas supérieur à la femme, ils sont complémentaires. L’obsession créée par les lobbies, les médias et les gouvernements pour la préservation de notre Terre est à mon avis une sorte d’endoctrinement. Ceux qui ne se préoccupent pas de la sauvegarde de la planète sont voués aux gémonies. Nous faisons partie d’un cycle, nous nous adapterons ou nous mourrons. La religion écologique et féministe à remplacé le christianisme, c’est là le drame.

  6. « il développe la théorie selon laquelle la Terre constitue un système autorégulé qui « maintient notre planète depuis plus de trois milliards d’années en harmonie avec la vie ». En oubliant grossièrement ( car ça ne colle pas) les cinq extinctions de masse que Gaîa nous a infligées au cours des âges. sans compter les autres restées inconnues.
    La Terre n’est pas une mère accueillante et nourricière. Elle ne crée pas la vie, mais la supporte comme un furoncle, et s’en débarrasse à intervalles irréguliers en s’ébrouant de toute sa puissance.

  7. Oui je suis d’accord avec vous, d’autant que les années 70, 80 nous apprenaient la place prépondérante du père ..nous revenons en arrière.. ceci dit , on peut se poser des questions sur en effet , « la destruction par des tribus de type patriarcal  » ..on peut se poser la question du pourquoi ce sont des hommes qui font la guerre ! je pense à l’Ukraine et à la Russie, dernier exemple , qui pour un bout de terre , sont en train de s’entretuer !!

  8. Charabia intellectuel, donc incompréhensible… et comme il se doit , bourré de références savantes pour égarer le lecteur de façon plus radicale s’il se peut …
    Plus prosaïquement , UN Créateur . UNE Création. PLUSIEURS degrés de Conscience .
    Et mon TOUT donne la TERRE et les HOMMES .
    Déjà tel quel , l’ éventail du RÉEL n’est pas mince affaire à ranger dans le bon Ordre .
    Quant aux femmes qui se prennent pour des Wonder Women … 8 milliards ont déjà PRO- créé avant elles .
    C’ est d’un commun !
    Éduquer le rejeton devrait rester le Centre du projet . Avec Le papa … de préférence ! MERCI d’ avance de comprendre ce DEVOIR .

    1. Nier la nature c’est tuer la nature. Toutes ces théories ne visent qu’à créer la béance intellectuelle qui ne débouche que sur le vide sidéral et l’anéantissement de la réflexion et au final de l’humanité.

    2. Il est évident que la femme est la génèse ( du moins la matrice continuatrice ) du monde ,qu’il soit passé ou en évolution . L’homme n’est qu’un appendice frustré de sa stérilité qui a déployé au fil des millénaires des astuces pour contrer – et renverser- son infériorité , son absence d’empathie , sa saleté et sa laideur congénitales ..Bref
      Mais , dit comme ça – version féministes , new age , anti judéo-chrétien et autres – ce charabia/galimatia décrédibilise ( encore ! ) la mission première des femmes.
      Tout à fait d’accord avec votre conclusion : Outre apporter la viande au foyer et faire croire qu’il sécurise les lieux, le géniteur devrait s’intêresser + à l’éducation des petits

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