Les pompiers et les pyromanes
On croyait avoir tout vu depuis le déclenchement de la crise des gilets jaunes : des mains arrachées, des yeux crevés, des handicapés renversés de leurs fauteuils, des femmes traînées par les cheveux, des vieillards jetés à terre, une Justice soudainement devenue intransigeante... On s’y était presque habitué, on s’apprêtait à vivre ainsi, actant le fait qu’il y avait désormais des oligarques qui pouvaient tout se permettre et des plébéiens qui devaient baisser la tête, raser les murs ou encaisser des coups.
On s’était habitué aussi à la contestation impuissante des stylos rouges, des blouses blanches, des gilets bleus, et au désespoir de tous ceux dont l’entreprise mettait la clé sous la porte, de tous ces agriculteurs qu’on éteignait discrètement comme une chandelle déjà morte. Mais, que voulez-vous, BFM TV n’en parlait pas, alors, c’était juste un bruit de fond.
On se doutait bien que leurs revendications étaient légitimes, on entendait vaguement leurs cris, on les voyait parfois sur le bord de la route avec leurs pancartes pathétiques, mais que faire, que dire ? On passait son chemin en espérant être épargné par ce tsunami de la réforme, ce typhon de la libéralisation et de la financiarisation qui dévastait tout autour de nous.
Et puis il y a eu cette manifestation des pompiers du 15 octobre... une de plus, une pour rien, aurait-on pu penser. Et, de nouveau, la même réponse, les mêmes lacrymos, la même réaction disproportionnée dont on peine à croire qu’elle puisse venir de fonctionnaires français qui subissent les mêmes vexations, les mêmes injures et le même mépris de la part du pouvoir. Jusqu’à quand la police française acceptera-t-elle de combattre ceux qu’elle a vocation à protéger ?
Jusqu’à présent, les seuls qui osaient agresser les pompiers étaient les racailles, les trafiquants de drogue protégeant leur territoire. En donnant l’ordre aux policiers de se comporter de la sorte à l’encontre de leurs collègues pompiers, le pouvoir a commis une faute magistrale. À tort ou à raison, il donne ainsi à beaucoup de Français le sentiment diffus qu’ils sont pris en étau entre les voyous des ghettos et les voyous de la finance qui contraignent nos politiciens à cette violence sociale.
Ce triste après-midi du 15 octobre, cette triste soirée d’affrontement entre forces de l’ordre et soldats du feu pourraient donc bien provoquer à l’égard des pompiers un élan de solidarité bien plus dévastateur pour le pouvoir que l’augmentation du prix du carburant il y a un an et il n’est pas certain que la grande discrétion des médias officiels sur le sujet suffise à éteindre l’incendie.
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