Laurent Wauquiez fait le grand écart : il veut à la fois garder la droite d’en haut et attirer celle d’en bas

Laurent Wauquiez a effectué, jeudi soir, sa rentrée politique sur France 2. Guillaume Bernard analyse sa prestation et la stratégie qu'elle sous-tend au micro de Boulevard Voltaire.

Guillaume Bernard, Laurent Wauquiez a effectué hier soir sa véritable rentrée politique. Il était l’invité de "L’Émission politique" de France 2 où il a affronté tout ce que la France peut compter d’observateurs, d’intellectuels et de citoyens. Il a été jugé timoré par les uns, combatif par les autres. Qu’avez-vous retenu de sa prestation ?

J’ai eu un peu la même idée. Un moment, il a été assez pugnace, notamment face à Alain Minc qui l’accusait de populisme. Tout en étant moins enjoué que lors de la campagne pour la présidence LR, il a su se positionner sur un certain nombre de sujets rassembleurs des différents électorats de droite éparpillés entre LR et le FN. Je pense, en particulier, à la défense des libertés économiques, à la défense de l’autorité de l’État, au contrôle des flux migratoires. Il a quand même réussi sur ces points.
À d’autres moments, en revanche, il a été un peu terne. Il a mal réagi à un certain chantage affectif. Je pense au reportage sur les migrants, à la psychanalyste qui lui a parlé de l’islam ou encore sur la PMA et l’adoption.
Il est certain que, dans ces cas d’espèce, qui sont censés résumer une situation alors qu'ils ne sont en fait que des caricatures, il n’a pas su faire preuve de choix clairs et d’une capacité à trancher.

Laurent Wauquiez a donné l’impression d’être sous des tirs croisés. D’un côté, le camp du progrès lui reproche son populisme et, de l’autre, le Front national lui reproche sa tiédeur et d’empiéter sur son propre terrain. Le créneau politique est-il suffisant, aujourd’hui, pour Laurent Wauquiez ?

Il est clair qu’en rétablissant le cordon sanitaire avec le Front national, il essaye de maintenir la cohésion de LR. Entre nous soit dit, c’est quand même un parti qui part en lambeaux.
Je ne comprends donc pas vraiment cette stratégie. D’une part, il revient à des positions plus droitières, disons celles du RPR dans les années 80, pour essayer de capter une partie de l’électorat du Front national. D'autre part, il refuse de façon plus outrancière que Nicolas Sarkozy, qui était plutôt favorable au ni-ni, toute convergence avec le Front national.
Il me semble qu’il n’a pas pris suffisamment la mesure du double mouvement que le spectre politique connaît. Il y a à la fois un mouvement de fond que j’ai appelé le mouvement dextrogyre, et un mouvement plus circonstanciel avec l’émergence d’Emmanuel Macron et son positionnement central.
Il est certain que la droite ne peut pas envisager de revenir au pouvoir si elle ne se recompose pas au-delà des différents partis politiques. C’est là que l’on voit toutes les limites des stratégies politiques. Elles visent à protéger des intérêts partisans et non pas à faire véritablement émerger des idées communes ou un programme commun.

Vouloir s’écarter du Front national pour rassembler. On aurait presque envie de lui dire : "Éloignez-vous plutôt de La République en marche si vous voulez rassembler quelque chose." On a l’impression qu’il tire du mauvais côté, finalement, non ?

Il est dans une position du grand écart. Il veut à la fois garder à LR la droite d’en haut et, en même temps, attirer les électeurs de la droite d’en bas. Il me semble qu’une clarification doctrinale serait nécessaire.
Sur les questions d’immigration, par exemple, il dit bien qu’il veut maîtriser les flux migratoires. Il l’a dit explicitement et cela peut plaire aux électeurs du Front national. Pour autant, il ne remet nullement en cause le principe même de l’immigration. Il a donc une position un peu timorée.
Sur la question de la bioéthique, il a accepté le principe de la loi Taubira pour ce qui concerne le mariage. Il veut uniquement revenir sur la question de l’adoption pour éviter la chosification de l’enfant avec la PMA et la GPA. Là, évidemment, il y a encore une fois une incohérence doctrinale. On l’avait déjà vu avec François Fillon. On l’avait vu avec Marine Le Pen. Il me semble qu’aucun candidat, ou en tout cas aucun parti politique, ne pourra rassembler les électeurs de LA droite s’il ne fait pas l’effort d’une véritable cohérence doctrinale.
Jusqu’à présent, ça n’est pas encore le cas.

Guillaume Bernard
Guillaume Bernard
Politologue et maître de conférences (HDR) de l’ICES

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