La quatrième guerre de Poutine, la plus incertaine, la plus risquée

POUTINE

En envahissant l’Ukraine, Vladimir Poutine en a surpris plus d’un, à commencer par votre serviteur. Car l’enjeu est immense et les risques considérables pour le président russe comme pour la Russie elle-même.

Certains rappellent qu’il en est tout de même à sa quatrième guerre. C’est un peu exagéré et le contexte était, à chaque fois, bien spécifique, mais toujours en lien avec les frontières russes menacées.

Il y eut d’abord la guerre en Tchétchénie, à l’extrême sud de la Russie. Ce n’est pas lui qui la déclencha mais Boris Eltsine, son prédécesseur, en 1999. L’année suivante, Poutine fut élu président et dut continuer cette guerre difficile. L’armée russe - enfin, ce qu’il en restait - n’avait pu gagner la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) sans toutefois la perdre tout à fait. Le traité qui suivit n’empêcha pas les islamistes tchétchènes de multiplier les attaques et attentats sanglants jusqu’à Moscou.

Eltsine, sur les conseils de l’armée, résolut de remettre la main sur cette province dont les islamistes rêvaient de proclamer l’indépendance. La capitale, Grozny, fut prise au bout de quelques semaines mais une longue guérilla s’ensuivit, alimentée notamment par des djihadistes venus de plusieurs pays. Poutine tira les leçons de cette guerre, ce fut le début de la modernisation de l’armée russe.

Puis il y eut la Géorgie, en 2008. Deux régions, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, rattachées à la Géorgie par les Soviétiques, proclamèrent leur autonomie avec le soutien de Moscou. Le président pro-occidental Saakachvili décida, en août 2008, de ramener ces deux petites régions dans l’orbite géorgienne et attaqua l’Ossétie, tuant les premiers combattants ossètes mais aussi plusieurs soldats russes. L’armée géorgienne, entraînée par les Américains, était bien plus nombreuse mais la réaction russe fut foudroyante.

Des milliers d’hommes et de nombreux chars furent envoyés par le tunnel de Roki et la contre-attaque russe mit l’armée géorgienne en déroute. L’Abkhazie et l’Ossétie ont ensuite proclamé leur indépendance, reconnue par Moscou. C’est à cette occasion que les États-Unis, par la voix de Condoleezza Rice, la secrétaire d’État de George Bush, avait évoqué les adhésions à l’OTAN de la Géorgie et de l’Ukraine.

Pendant ce conflit, les chefs d’État ukrainien, polonais et baltes se rendirent à Tbilissi, capitale de la Géorgie, pour soutenir le président Saakachvili, rien ne changea… Des rumeurs annoncèrent un assaut russe vers Tbilissi, mais ce ne fut pas l’option choisie par Poutine. L’armée russe, depuis 2008, protège l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud dont les habitants sont dotés d’un passeport russe.

La troisième guerre n’en n’est pas vraiment une, puisqu’elle ne fit aucun mort. C’était en 2014, en Crimée. Après la révolution de la place Maïdan, à Kiev, qui entraîna la fuite en Russie du président élu et le début de la guerre du Donbass, la Crimée, presque totalement russophone, saisit l’occasion pour proclamer son indépendance puis demander son rattachement à la Russie. Ce ne fut donc pas factuellement une annexion, soit dit en passant.

Une guerre de l’eau cuisante pour la Crimée s’ensuivit. Dépourvue de fleuve, elle dépend du Dniepr, qui coule en Ukraine à qui elle est reliée par un canal. Les autorités ukrainiennes l’ont alors fermé, mettant la Crimée en grande difficulté. Nul doute que la remise en marche de ce canal fera partie des objectifs russes, comme le démontre le spécialiste de la guerre de l’eau, Franck Galland, dans une tribune du Monde.

La quatrième guerre, celle d’Ukraine, est, comme on peut le constater, une suite chronologique assez cohérente de l’affrontement géopolitique entre les États-Unis et la Russie.

Mais la donne est toutefois nouvelle par son ampleur. L’Ukraine n’est ni la Géorgie ni la Crimée. Elle est le deuxième pays d’Europe par sa taille (600.000 km2) et compte 45 millions d’habitants. Certes, l’unanimité n’y règne pas et le pays est clairement coupé en deux, entre l’est et l’ouest. Mais l’incertitude est grande sur les objectifs militaires et politiques de cette invasion.

Poutine, d’une grande prudence depuis 22 ans, a clairement changé de stratégie.

Antoine de Lacoste
Antoine de Lacoste
Conférencier spécialiste du Moyen-Orient

Vos commentaires

33 commentaires

  1. Excellente analyse et il est exact comme le mentionne plus bas Pounet et dnalor que ce sont les états-uniens et la perfide albion qui sont systématiquement à la bas de toute les guerres. Leur seul objectif : fabriqué des armes (leur première industrie)

  2. Quel brave homme, ce Vladimir ! Sans cesse assiégé par les cruels Américains et les fourbes Européens, militairement menacé par la redoutable Ukraine, il n’a d’autre choix qu’attaquer, encore attaquer, toujours attaquer … Pauvre Vladimir, heureusement qu’il dispose encore de quelques esprits éclairés chez nous pour le comprendre …

    • Lisez ou relisez les accords de Minsk que le gouvernement ukrainien a piétiné sans que … l’Europe ne bouge le petit doigt.

  3. Il se dépêche de la faire sa dernière guerre il va bientôt passer de vie à trépas
    avec sa grave maladie .
    Personne ne va regretter ce dictateur .

  4. La Russie n’est pas la seule à être dans le collimateur des Usa, la Chine est la suivante la fin des conflits mondiaux n’est pas pour demain, et l’Europe dans son rôle d’éternelle dominée suivra

  5. Monsieur de Lacoste, votre lucidité habituelle est en défaut concernant l’Ukraine. Vous faites l’impasse sur la raison première de l’intervention russe: la défense des provinces séparatistes, sur le point de succomber après des années d’attaques , et dont les réfugiés commençaient à déferler en Russie. Il est sidérant que des esprits lucides passent sous silence cette évidence. L’intervention de Poutine est manifestement une opération limitée à ce seul but, sinon Kiev serait déjà tombé.

  6. Les plus lucides sur la crise Covid, ses causes et ses conséquences possibles, ont dit: cette fois-ci, c’est eux ou nous.
    C’est exactement ce que se dit Poutine…

  7. Les plus grands fauteurs de guerre sont les américains, sans oublier que ces donneurs de leçons sont coupables du génocide des Indiens qui étaient chez eux avant l’immigration de mécréants européens qui ont remplacé la population autochtone. Poutine résiste à l’OTAN qui l’encercle de toutes parts!

  8. Il y a beaucoup d’éléments à cette situation et cet article a le mérite d’en évoquer quelques-uns. Il faut évacuer tout de suite, le risque nucléaire. A moins d’avoir inventé des bombes mégatonniques propres ou des micro-bombes à neutrons, cette hypothèse n’est qu’un chantage au suicide et Poutine n’est pas fou. Plus sérieux sont l’aspect confrontation avec Erdogan (qui le pousse à rester dans l’Otan), l’attentisme de la Chine et la déstabilisation par le groupe Wagner bien dans le style du KGB.

  9. Peut-être que Poutine veut laisser à ses successeurs et pour l’histoire, une Russie ayant retrouvée ses frontières de l’époque de la grande Catherine. Et je pense qu’on subodore trop facilement nos forces et capacités, et leur faiblesse clairement supposée, sur les sanctions mises en œuvre. Comme toujours, nous sommes à la remorque des EU, du suivisme allemand, au lieu de garder notre libre arbitre.

  10. Le malade dangereux n’est pas celui à qui l’on pourrait penser ..regardons plutôt le sénile de l’autre côté de l’Atlantique ..

  11. Excellent article, comme toujours, d’Antoine de Lacoste.
    Une analyse pertinente, factuelle, objective.
    Cela nous change des éditos pondus par les médias mainstream, obnubilés par leur anti Russie primaire.

  12. Mais qui avait allumé la mèche? voir ci-dessous.
    Très nombreux sont les français qui le pensent.

    • Malheureusement, car enfermés dans leur égoïsme endémique et obnubilés par leurs 35 heures, leurs RTT et leurs sacro-saintes vacances aux Seychelles ou aux Maldives, ils ne sont plus capables de regarder et de comprendre la marche, bonne et/ou mauvaise, du monde. Les Français, ou du moins une bonne part d’entre eux, sont devenus des esclaves bien obéissant de la bien-pensance !

  13. Géorgie, Ukraine, Irak, Afghanistan, Viet Nam etc. C’est amusant comme on retrouve derrière tous ces conflits, la patte des USA représentés par le mauvais génie de la CIA, il faut reconnaître que « foutre le Bazard » c’est un métier.

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