Emmanuel Macron adore les commémorations. Ou, plutôt, il adore les commémorations qui lui permettent de se mettre en scène et de mettre en valeur ses qualités déclamatoires. Avec lui, le narrateur devient le personnage central du spectacle. Et le narrateur, ça tombe bien, c’est lui. Emmanuel Macron, c’est deux en un pour les panthéonisations : de Gaulle et Malraux en même temps. Enfin - calmons-nous et buvons frais, comme dirait Édouard Philippe -, toutes choses égales par ailleurs. Peut-être, quelque part, la manie de tout vouloir faire soi-même. De faire aussi des économies d’échelle, comme on dit dans le monde entrepreneurial. Il fut sans doute à son apogée, à son « peak moment », comme on dit de l’autre côté de la Manche, lors des commémorations de la fin de la Grande Guerre. Question, au passage : si on enseignait plus le théâtre dans nos écoles, la France deviendrait-elle une pépinière de petits Macron ?

En tout cas, pour les cérémonies commémoratives du 75e anniversaire du Débarquement en Normandie, une fois encore, le président de la République a pu épater la galerie. Et susciter la polémique. Car dans le « package Macron », il y a toujours, en prime, un supplément de polémique au détour d’une phrase. Mais cette fois-ci, ce n’est pas dans ce qu’il a dit mais dans ce qu’il a omis de dire qu’il y a matière à polémique. Mercredi, à Portsmouth, Emmanuel Macron, lors de la cérémonie internationale, a lu la lettre d’adieu à ses parents d’un jeune résistant, Henri Fertet, fusillé à l’âge de 16 ans par les Allemands en 1943 pour faits de résistance. Une belle lettre, particulièrement émouvante. Or, certains passages de cette ultime missive n’ont pas été lus. Parce que le temps accordé aux chefs d’État était compté, dit-on. Peut-être, probablement, sans doute.

Mais lorsqu’on prend connaissance de l’entièreté de cette lettre, on se dit qu’il est tout de même dommage que le passage sur l’amour filial de ce garçon pour ses parents n’ait pas été lu. Dommage, aussi, qu’Emmanuel Macron n’ait pas évoqué la « confiance en la France éternelle » d’Henri Fertet. Un gamin de 16 ans qui va mourir demain et qui croit en la France éternelle, ce n’est pas rien, tout de même. Dommage, encore, qu’aient été « zappés » les remerciements de l’adolescent au curé et à l’évêque pour leur sollicitude. Cela aurait donné quelques indications sur ce qu’était la sociologie de la France de cette époque. Dommage, enfin, qu’Emmanuel Macron ait biffé les passages relatifs à la foi du jeune supplicié : « Papa, je t’en supplie, prie, songe que si je meurs, c’est pour mon bien… Nous nous retrouverons bientôt tous les quatre, bientôt au ciel. ».» Supprimée, aussi, cette précision : « Expéditeur : Monsieur Henri Fertet, Au ciel, près de Dieu. »

Dans le poème « La Rose et le Réséda » qu'Aragon dédia, en 1944, aux catholiques Honoré d’Estienne d’Orves et Gilbert Dru, et aux communistes Gabriel Péri et Guy Môquet, tous quatre fusillés par les Allemands, sont évoqués « Celui qui croyait au ciel » et « Celui qui n’y croyait pas ». Henri Fertet était « de la chapelle », pour reprendre les mots du poète. « Chapelle », qui rime avec « France éternelle ».

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06 juin 2019 à 19:14

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