Samedi, la place de la République était à l'image du pays. Peu à peu, toutes les voies qui y conduisaient ont été bloquées par les forces de l'ordre pour qu'en définitive, les gilets jaunes tombés dans ce piège soient enfermés dans la nasse sans que la police ait cherché à en expurger les plus violents.

Il fallait, comme d'habitude, que ce chaudron fasse bouillir les manifestants les plus chauds tandis que les plus modérés seraient refroidis par le risque d'affrontement : bruits d'explosions, fumées, avancée des policiers chargés des interpellations musclées. S'agissait-il d'empêcher le désordre et les violences ou de les provoquer pour que l'image du jour ne soit pas celle d'un défilé paisible autour des victimes de la répression ? Le doute est permis. Il faudrait être bien naïf pour faire confiance à un pouvoir qui, depuis de longs mois, aligne déni, manipulation et cynisme. La préfecture de police de Paris dénombrait officiellement 10.500 manifestant à Paris, à égalité (comme par hasard) avec le nombre des foulards rouges de la semaine dernière, visiblement grossi par rapport à la réalité. Un comptage indépendant d'Occurrence enregistrait 13.800 gilets jaunes à Paris pour le douzième samedi... La stratégie du pouvoir marche sur deux pieds : le premier consiste à délégitimer le mouvement protestataire en l'identifiant à la violence et en minimisant son importance quantitative. La puissance de la répression, renforcée par la loi anti-casseurs, à laquelle on n'avait pas songé contre les Black Blocs, et qui est un outil de dissuasion que l'on utilise, semble-t-il, avec moins de réserves contre une protestation qui s'élève de la France profonde qu'on ne le fait contre des ennemis déclarés de la République, voire de la France.

Le but est, bien sûr, de faire danser le peuple sur l'autre pied, celui du grand débat. Mais, là encore, le piège est tendu. Il s'agit, pour le pouvoir, de gagner du temps, au Président de montrer ses talents de marathonien du débat, à la majorité présidentielle d'affronter les élections européennes dans de moins mauvaises conditions et, au bout du compte, de maintenir une politique jugée supérieure à la contestation de gens que l'on méprise suffisamment pour espérer les berner. Une apparence de cadeau de dix milliards à l'entrée fait avec l'argent des contribuables, une organisation du débat tellement contrôlée que l'autorité administrative indépendante, financée pour cela par nos impôts - la Commission nationale du débat public -, se refuse à en prendre la responsabilité, ses critères n'étant pas respectés, et à la sortie, sans doute, un référendum avec plusieurs questions dont les réponses valideront le projet présidentiel en oubliant celles que posaient les gilets jaunes : tel est le scénario concocté à l'Élysée.

Le mouvement était d'abord une jacquerie fiscale. Il est devenu une révolte de la France d'en bas contre l'oligarchie arrogante qui la dirige. La revendication du référendum d'initiative populaire ou citoyenne y joue un rôle essentiel puisqu'elle est un appel à rétablir la démocratie, en faisant en sorte que les électeurs puissent répondre à des questions qu'un grand nombre d'entre eux ont demandé de poser. Le grand débat permettra, au contraire, de limiter les thèmes de réflexion collective et de parvenir aux sujets que le gouvernement souhaite voir traités. Il lui sera facile, ensuite, de faire semblant de dégager les pistes qu'il désire emprunter et de poser des questions auxquelles la réponse sera évidente.

Il restera le bouc émissaire du début du mandat : les élus nationaux dont on diminuera le nombre, et qui seront en partie élus à la proportionnelle. Beaucoup le souhaitent sans se rendre compte qu'ainsi, ils affaibliront le contact direct entre le peuple et ses représentants, et diminueront en fait la démocratie au profit des partis, de l'exécutif, et singulièrement de l'Élysée. Comme la place de la République, le grand débat est une nasse dans laquelle le pouvoir entend noyer ce poisson détestable qu'est le peuple.

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03 février 2019 à 18:47

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