Moins d'un mois après les élections européennes, Jordan Bardella, jeune tête de liste victorieuse du Rassemblement national, revient sur sa campagne mais aussi sur les missions qu'il se fixe au Parlement européen. L'occasion de parler recomposition politique, souverainisme, conservatisme, élections municipales, union des droites, France insoumise, pour celui qui se définit plus comme souverainiste que comme conservateur.

Vous avez été élu député européen. C’est une expérience assez inédite pour un jeune de votre âge. Comment avez-vous vécu cette campagne ?

C’est une sacrée responsabilité. Nous avons remporté ces élections européennes avec quelques centaines de milliers de voix d’avance. Le nouveau clivage qui est en train de se mettre en place dans la vie politique française est intéressant.
Il est constitué de deux grands blocs. Le bloc mondialiste d’Emmanuel Macron. Il a considéré, dans cette campagne, qu’il fallait encore plus de transferts de souveraineté vers l’Union européenne. Le second bloc, c’est nous, les défenseurs de la souveraineté, de l’identité nationale et du bon sens.

Ces deux blocs pourraient être interprétés comme le camp du progrès d’un côté et le camp de la peste brune de l’autre. Ce bipartisme va-t-il se transformer entre le camp du bien et le camp du mal ?

C’est ce à quoi s’est employé Emmanuel Macron, mais cela ne marche plus. C’est, d’ailleurs, la raison pour laquelle il a été battu. Il y a un an, lors des intentions de vote, La République en marche était à 28 % et nous à 14 %. Aujourd’hui, nous sommes le seul mouvement politique véritablement en dynamique.
Nous avons su nous ouvrir vers l’extérieur et attirer des personnalités issues de la société civile. Nous avons commencé ce travail de recomposition de la vie politique et ce travail d’alliance avec la droite populaire. Leurs fondateurs, Thierry Mariani et Jean-Paul Garraud, étaient candidats. Aujourd’hui, avec les députés européens qui sont à nos côtés, nous allons œuvrer à la recomposition de la vie politique.

Lors de ces élections européennes, vous êtes arrivé en tête. Néanmoins, une politique européenne se mène avec d’autres pays et au sein d’un groupe composé de plusieurs nationalités et plusieurs sensibilités.

Ce groupe est déjà constitué. Il s’appellera « Identité et Démocratie ». Il succède au groupe « Europe des nations et des libertés » que nous avions déjà fondé.
En 2014, lorsque nous avons remporté les élections européennes, nous étions assez isolés sur ce courant d’idée souverainiste dans l’Europe de François Hollande, Merkel et Matteo Renzi. Aujourd’hui, nous avons des alliés dont certains gouvernent. Je pense, notamment, à Matteo Salvini en Italie et à nos alliés estoniens.
Nous avons constitué ce groupe au sein du Parlement européen avec des nationalités qui nous ont rejoints. Je pense aux Finlandais et aux Danois, qui n’étaient pas à nos côtés. Nous allons travailler avec eux pour défendre l’intérêt des peuples et faire entendre la voix des nations au sein du Parlement. Cela fait des années que ce Parlement est dirigé par les européistes. C’est bien qu’il puisse y avoir une alternance.
Nous qui défendons une Europe des nations, des projets et des coopérations entre États, nous incarnons cette alternance aux institutions européennes. Cela a marché dans le passé et c’est ce que nous voulons faire, demain, en Europe, avec les grands projets industriels du siècle.

Vous avez fait vos premiers pas dans le Parlement européen. Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez pénétré dans le Parlement ?

C’est un endroit très froid, déconnecté et sans âme. Il est un peu à l’image de l’Union européenne actuelle. C’est une espèce de grand couloir gris et froid. C’est un mélange entre le Forum des Halles et l’aéroport d’Orly. On va essayer d’apporter un peu de chaleur dans cette assemblée, mais surtout de faire entendre l’intérêt et la voix des Français qui nous ont élus.
On peut oublier que des électeurs vous ont porté dans cette assemblée. Vous avez des restaurants, des coiffeurs, des salles de sport, des pressings, etc. Sauf qu’on a des comptes à rendre aux Français ! Nous passerons beaucoup de temps dans l’hémicycle et sur le terrain au côté des Français.

Vous sentez-vous davantage député français ou député européen ?

Je me sens davantage député français. Je me sens même représentant français au Parlement européen. Je crois en la supériorité du droit national, quel qu’il soit.
Au sein du Parlement européen, nous avons de très nombreux alliés. Beaucoup plus qu’en 2014. Nous allons travailler contre les traités de libre-échange qui sont négociés par la Commission européenne et qui menacent nos emplois, nos industries et notre agriculture. Contre les quotas de migrants imposés par le Parlement européen. Et faire entendre la voix du bon sens.

Qu’avez-vous pensé de Nathalie Loiseau en tant qu’adversaire ?

Je ne tirerai pas sur une ambulance. Emmanuel Macron s’est beaucoup impliqué dans la campagne. Il a voulu faire de cette élection un référendum et un plébiscite en se transformant en directeur de campagne de Nathalie Loiseau et en ciblant spécifiquement les gilets jaunes et le Rassemblement national vers la fin de la campagne. Le plébiscite a marché, mais cela s’est retourné contre lui puisque 80 % des Français ont voté contre sa politique.
De notre côté, en termes de pourcentage, nous avons fait beaucoup plus qu’à l’élection présidentielle. Cela n’a pas été le cas pour Emmanuel Macron. On dépasse notre record avec près de 600.000 voix de plus. Je pense que c’est un désaveu pour sa politique et pour l’Union européenne qu’il a défendue. C’est un peu son bébé.

Vous avez, certes, dépassé votre nombre de voix par rapport aux dernières élections européennes, mais vous avez toutefois fait légèrement moins qu’aux élections présidentielles. Le Rassemblement national est-il vraiment en progrès ou a-t-il atteint une sorte de plafond de verre ?

Le pourcentage était plus élevé aux élections présidentielles puisqu’il y avait un parti de plus, mais ce qui compte, c’est le nombre de voix. En nombre de voix, nous sommes en progression constante d’élection en élection, régionale, départementale, présidentielle et européenne.
Nous enregistrons, à chaque fois, des voix supplémentaires.
L’accession au pouvoir est peut-être un peu plus longue que celle d’Emmanuel Macron. Il a bénéficié du soutien de tout le système coalisé, partis politiques et médias.
On vit là une grande recomposition de la vie politique. Avant les élections européennes, je pensais qu’on en était à l’épilogue, mais je m’aperçois qu’on n'en est qu’au début et qu’on est encore dans cette phase de décomposition avec l’effondrement des Républicains et de La France insoumise.
Nous avons vocation à rassembler au-delà et à devenir l’alternance démocratique à Emmanuel Macron pour 2022.

Les LR sont en train de s’effondrer. Une partie des cadres a basculé vers La République en marche et une autre partie hésite. En quoi ces deux pôles opposés de la vie politique française pourraient-ils se rejoindre au Rassemblement national ?

En face de nous, un camp politique a rassemblé des gens qui se sentent à la fois de droite et de gauche. Or, certaines personnes ne se retrouvent pas dans cette gauche et dans cette droite.
Nous voulons rassembler le plus largement possible. Nous avons commencé à le faire pendant ces élections européennes. Dès septembre, nous allons relancer la droite populaire sous l’égide de Thierry Mariani et Jean-Paul Garraud. Ces derniers ont vocation, à côté du Rassemblement national, à aller chercher tous ces électeurs LR et les élus locaux des Républicains qui ne se reconnaissent pas dans l’armée mondialiste qu’Emmanuel Macron est en train de monter. Ils sont attachés à la baisse de la fiscalité, à la défense de la nation française et à la défense de nos valeurs et de notre identité.
Beaucoup sont laissés orphelins à droite. Nous avons vocation à leur parler et à leur dire de venir mener le combat à nos côtés.

Si je vous dis conservatisme et union des droites, que répondez-vous ?

Je pense que l’union des droites est assez réductrice. Elle aurait du sens si nous avions en face de nous un candidat qui fait l’union de la gauche. Or, il a rassemblé des gens qui se sentaient de droite et de gauche. Il faut dépasser cela.
Toute une partie de la droite pense comme Bellamy, mais a fait le choix de Nathalie Loiseau lors de ces élections européennes.
Il faut aller au-delà et rassembler tous ceux qui sont attachés à la nation française. Nous allons essayer d’aller les convaincre.
Je ne me définis pas conservateur. Il n’y a pas un Français qui se réclame du conservatisme. C’est une lecture assez anglo-saxonne de la vie politique qui ne correspond pas au modèle français. Je me définis comme souverainiste. Il y a des souverainistes à droite et à gauche.
Encore une fois, c’est à nous d’aller les convaincre.
Dans le cas des élections municipales, nous allons constituer des majorités de bon sens avec des élus locaux, LR et diverses droites qui voudront bien venir à nos côtés.
Nous sommes encore dans cette phase de recomposition. La vraie recomposition interviendra au moment des départementales ou des régionales. Nous allons jouer une place centrale à ce niveau-là.

Donald Trump a officiellement lancé sa campagne pour sa réélection. Soutenez-vous la réélection de Donald Trump ?

Je ne suis pas citoyen américain, mais je suis un Français assez objectif sur la politique américaine. On nous avait vendu l’élection de Trump comme une catastrophe. Or, son bilan est très bon sur le plan économique. Il crée tellement d’emplois qu’il n’y a même plus de main-d’oeuvre pour les occuper. Il a mis en place une politique protectionniste. Il a défendu l’industrie et les entreprises américaines. Il sait défendre les intérêts de son pays. On devrait peut-être s’en inspirer.
Il défend les intérêts américains. À nous d’être capables de défendre les intérêts français.
Les États-Unis réussissent parce qu’ils sont une nation. La Chine réussit parce qu’elle est une nation. Le Japon, la Corée du Sud et toutes les grandes puissances réussissent parce que ce sont des nations fières d’elles-mêmes.
Nous pourrions peut-être nous en inspirer à l’heure où l’Union européenne organise l’impuissance collective. Elle est en train d’affaiblir considérablement le continent.

L’Europe pourra-t-elle être une nation ?

L’Europe a inventé les nations. On ne peut donc pas faire l’Europe sans les nations. Ce serait faire l’Europe sans l’Europe. Plus l’Union européenne s’est construite au détriment des nations, plus elle s’est affaiblie. Nous défendons une grande coopération entre États.
Aujourd’hui, l’Union européenne nous a fait passer à côté de toutes les grandes révolutions technologiques. Il est encore temps de changer de route.

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19 juin 2019 à 18:29

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