Honneur au colonel Jacques Allaire

Colonel Allaire

Il avait 99 ans. On pensait que tous ceux de sa génération étaient morts. On n'avait pas totalement tort, d'ailleurs, car il ne restait presque plus que lui. Ce 6 avril, le colonel Jacques Allaire, grand officier de la Légion d'honneur, figure des parachutistes d'infanterie de marine, les « paras-colos », ancien lieutenant du général Bigeard, a fait son dernier saut.

Son décès n'a pas fait beaucoup de bruit. Ce n'était pas son genre. À la différence de tant de grandes gueules qui veulent incendier la France et se contentent de remettre du bois dans la cheminée, il ne se payait pas de mots. Petit garçon atteint de la poliomyélite, il n'aurait pas dû pouvoir aller au combat. Les récits de la Grande Guerre avaient bercé son enfance, mais le destin semblait ne pas vouloir en faire un soldat. Qu'importe le destin ! Maquisard à vingt ans, Jacques Allaire participa à la libération du Mans en 1944 et rejoignit la 2e DB de Leclerc fin 1945, en trichant lors de la visite médicale. Tricher pour ne pas être réformé, ce n'est pas fréquent, et ça en dit long sur l'homme.

On l'envoie à Saïgon comme jeune caporal de transmissions. Il en revient avec une infirmière, qui deviendra sa femme, et un amour profond pour l'Indochine. À son second séjour, il a trafiqué une nouvelle fois son dossier médical, cette fois pour devenir parachutiste. Il est affecté dans les paras-colos avec le grade de sous-lieutenant de réserve, mais sera par la suite promu lieutenant au feu, à la bataille de Ðiện Biên Phủ. En 2019, à l'occasion du 65e anniversaire de la bataille, il avait répondu aux questions de Boulevard Voltaire. Ensuite, ce sera l'enfer des camps viets, puis l'Algérie, jusqu'au putsch.

Après une fin de carrière consacrée à divers commandements et à des postes en Afrique, le colonel Allaire passa près de cinquante ans à partager son amour de l'ancienne Indochine. Il marqua les esprits par son humour, sa fidélité à ses frères d'armes et son idéal patriotique. Le lieutenant qui, à Ðiện Biên Phủ, demandait un ordre écrit à Bigeard pour arrêter de combattre, car il ne voulait pas lâcher sa position, aura tenu bon pendant près d'un siècle. Avec beaucoup d'humour, lors de l'homélie de sa messe d'obsèques, son petit-fils, le chanoine Alban Denis (ICRSP), que nos lecteurs connaissent ou devraient connaître, a souri du fait que son grand-père n'ait pas demandé à saint Michel, patron des paras, une confirmation écrite au moment de « décrocher ».

Grand soldat, grand Français, il aura probablement répondu, comme le centurion qui fit l'admiration du Christ, « Dites seulement une parole : moi aussi, j'ai eu des hommes sous mes ordres. »

En ce jour d'avril, face à un détachement de paras, dans la cour d'honneur des Invalides, ce n'est pas la terrible sonnerie de l'avion, celle qui vous vrille les viscères, celle qui vous crie de sauter, qui a accompagné le colonel vers sa dernière demeure. C'est la sonnerie aux morts, celle qui transperce l'air et reste en suspension dans l'âme bien après la dernière note du clairon. Et la lumière qui a précédé ce saut dans l'inconnu n'était pas verte, comme celle de la portière avant la chute. Elle était probablement, bien plutôt, aveuglante de clarté et d'amour, arrachant des larmes qui n'ont rien à voir avec la force du vent.

On dit, par boutade, que les paras, heureux dans le ciel limpide, savent pourquoi les oiseaux chantent. Désormais, le héros de Ðiện Biên Phủ sait aussi ce qui fait sourire les anges.

Que la France l'honore. Et que saint Michel l'accueille.

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

35 commentaires

  1. Merci mon Colonel …vous faites partie de ceux que l’on croit immortels , et puis un jour vous apprenez que le Général Bigeard, que le Commandant de St Marc ou le Médecin Commandant Grauwin s’en sont allés vers d’autres cieux , et du coup vous comprenez que non .. On dit que des Paras lorsqu’ils nous quittent , qu’ils ne montent pas au ciel mais qu’ils y retournent , je le pense également. Signé Un para nait en mai 1954

  2. J’ai aussi mon colonel qui était dans une école de commerce à la libération. Il s’est engagé et a fait saint Cyr (sorti major). Il a fait la fin de la campagne de France, la guerre d’Indochine. C’ était mon capitaine en Algérie. Il a commandé l’école d’artillerie de Chalons (il y était pour mon stage de capitaine). Il est resté colonel malgré 3 citations, il a maintenant 95 ans à fêté, il y a 3 ans, ses noces de platine (70 ans). Il m’a fait la joie d’assister à ma remise de Légion d’honneur.

  3. je crois, du moins j’espère, qu’il y a encore des hommes de cette trempe…ils passent hélas au second plan, masqués (on pourrait dire déventés?) par des m’a tu vu, des brasseurs de vent…il aura fallu, pour les révéler, cette période agitée de 40 à 62. Qui a dit, déjà, « la fonction crée l’organe »?

  4. Excellent article que celui consacré à un homme comme il n’y en reste que très peu.
    Entre nous, cet officier devait être totalement perdu dans une France complètement désorganisée et gouvernée par un amateur.

  5. Magnifique hommage. Merci. Pensée forte et personnelle pour son camarade et ami le Colonel Duteil, qui lui a déjà tiré la fusée.

  6. Plus courageux, intègre, et désintéressé que certains de nos généraux de pacotille actuels, même arborant 4 étoiles et 18 médailles au compteur ! Que votre exemple, Colonel, soit lu, relu, appris, connu et transmis, pour que se lève une poignée de génération de nouveaux garçons héroÏques, eux, afin de faire oublier 60 années de faux-semblants..

  7. Ah ! Avec ce héros, on est loin d’un soldat d’opérette, qui fait la guerre à un virus…
    Que ce grand Monsieur repose en paix pour l’éternité, fier des services qu’il a rendu à son pays. Immense respect devant lui.

  8. Grand respect mon Général ; que St Michel notre saint patron vous prenne sous ses ailes. Un ancien du 9ème RCP, para 321866.

  9. Que cet homme reste à tout jamais dans nos mémoires, car parti avec un handicap il devient un Grand Homme, contrairement à nos petites recailles qui resteront toujours de la vermine, grâce aux supports de nos bobos gauchos corrompus. Merci Monsieur Allaire, ci souvent cités dans les livres sur Bigeard.

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