Hidalgo et Estrosi veulent des municipales fin juin : est-ce vraiment si urgent et si démocratique ?

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À l'heure où la France se déconfine très prudemment, alors que lycées, bars, restaurants, salles de spectacles, églises ne sont toujours pas rouverts et ne savent même pas quand ils pourront l'être, que les universités ne rouvriront qu'en septembre, et que les écoles ne sont qu'entrouvertes, certains s'impatientent. Des élèves désœuvrés ? Des restaurateurs désolés ? Des grenouilles de bénitiers ? Non, des maires. Ils sont 36, 36 maires ou candidats aux municipales qui trouvent que trop, c'est trop, que ce confinement a assez duré. 36 maires, et pas des moindres, puisqu'on trouve, en tête de gondole, les noms d'Anne Hidalgo, de Christian Estrosi, de Nicolas Florian (le maire de Bordeaux). Ils viennent de signer une tribune dans le JDD.

Leur appel à organiser le second tour dès la fin juin, dans un mois, est pavé de bonnes intentions.

D'abord, l'élection rapide de nouveaux maires s'imposerait pour sortir le pays de la crise économique qui vient et assurer son redémarrage. « La France affronte aujourd'hui une crise sanitaire, économique, sociale immense et d'une gravité exceptionnelle. L'incertitude électorale qui prive les communes de leur maire aggrave encore cette situation en entravant leur action pourtant indispensable au redémarrage de notre pays », écrivent-ils. Avec des arguments sonnants et trébuchants à l'appui : « La relance économique de notre pays ne pourra se faire que si les grandes villes et les intercommunalités ont la capacité de lancer des investissements publics indispensables. 70 % de la commande publique sont réalisés par les communes et les intercommunalités. Elles sont le bras armé essentiel à notre économie et à nos emplois. [...] 88 % des intercommunalités sont en attente du deuxième tour pour installer définitivement leur assemblée délibérante, bloquant de fait leur capacité d'investissement. » Un esprit malintentionné pourrait voir dans cet argument une forme de chantage, ou tout au moins de pression, sur un exécutif affaibli.

Ensuite, les signataires de la tribune mettent en avant l'argument démocratique : « Comment demander aux Français, qui malgré leur inquiétude se sont déplacés pour venir voter le 15  mars, de refaire un premier tour pour les communes concernées ? Comment le justifier auprès des milliers de bénévoles et personnels ayant participé à la tenue du scrutin ? [...] Sans parler de la perte de temps et d'énergie requise par une nouvelle campagne électorale alors que la situation de notre pays exige une mobilisation totale. Ne transformons pas le confinement sanitaire en un confinement démocratique. »

Si l'argument de l'efficacité économique peut se justifier, celui-ci est très contestable et peut se retourner comme un gant. Rappelons à ces démocrates et ces maires pressés que ce premier tour a été organisé dans des conditions ubuesques, des millions d'électeurs ne se déplaçant pas par peur, après les annonces du Président, le jeudi soir, puis du Premier ministre, la veille même de l'élection ! Il faut aussi redire à ces maires épris de démocratie quelques chiffres : moins d'un électeur sur deux a voté, le 15 mars dernier, l'abstention s'élevant à plus de 55 %, soit vingt points de plus qu'en 2014 ! Du jamais-vu ! Ce premier tour a bel et bien été un naufrage démocratique. L'exécutif s'était alors dédouané, arguant de la pression subie par les autres partis. Il serait regrettable que, cédant à cette tribune, il commette à nouveau la même erreur.

Poursuivre un processus électoral sur de telles bases serait dramatique et ne pourrait qu'accroître un peu plus le divorce entre le peuple et les élus. D'ailleurs, avec l'état de psychose toujours présent chez beaucoup de Français, à l'heure où l'on ne sait pas encore s'il y aura seconde vague ou pas, où aucune activité n'a repris normalement, ce second tour précipité fin juin se traduirait aussi par une abstention record. La démocratie mérite mieux que cette urgence suspecte, surtout après le fiasco du premier tour. La sagesse voudrait qu'on attende que le pays soit revenu à une vie vraiment plus normale pour que le débat démocratique puisse reprendre et que la peur de se rendre aux urnes soit dissipée, ce qui n'est pas le cas. Qui sait, les électeurs - ceux qui, par une inquiétude justifiée, ne sont pas allés voter mais aussi les autres, qui ont parfois eu l'impression d'avoir été pris au piège - auront peut-être des choses à exprimer qu'ils n'avaient pas bien perçues début mars ? N'est-ce pas à cela que sert, d'abord, une élection ?

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Frédéric Sirgant
Chroniqueur à BV, professeur d'Histoire

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