[Entretien] Rue Copernic : « En 1980, déjà, il s’agissait d’égarer l’opinion »

Weil Reynal

Clément Weill-Raynal est journaliste, spécialiste des affaires judiciaires. Il est bien connu des lecteurs de BV pour avoir révélé l'affaire du mur des cons, dont il a fait un livre : Le Fusillé du mur des cons. Il vient de publier Rue Copernic. L'enquête sabotée 1980-2023 (Éditions L'Artilleur). Il y brosse plus de quarante ans d'errements et de diversion politique. À l'occasion de l'ouverture du procès - avec un box des accusés vide ! -, Clément Weill-Raynal revient sur le traitement lunaire de l'une des plus grandes affaires de terrorisme que la France ait connues.

Gabrielle Cluzel. Clément Weill-Raynal, le procès de la rue Copernic - qui, rappelons-le, a fait quatre morts - s'est ouvert le 3 avril... mais sans l'accusé. Pensez-vous que la France va enfin savoir la vérité sur cette affaire ?

Clément Weill-Raynal. On peut raisonnablement espérer qu’une vérité judiciaire va être établie à l’issue de ce procès. Les débats devant la cour d’assises spéciale de Paris permettront de rendre publics les éléments du dossier. On saura de manière claire ce qu’il y a dans ce dossier et ce qui a justifié – après autant d’atermoiements – le renvoi de M. Hassan Diab devant une juridiction criminelle compétente en matière de terrorisme. Il bénéficie, bien entendu, du principe de la présomption d’innocence, comme tout justiciable, mais permettez-moi de vous assurer que les charges à son encontre sont plus que sérieuses, contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là. Mon livre apporte à ce sujet plus d’une révélation, puisées aux meilleures sources. C’est à la suite d’une enquête exceptionnelle que les policiers et les magistrats qui se sont succédé dans ce dossier ont identifié ce ressortissant libanais qui a refait sa vie au Canada, où il est devenu professeur d’université. C’est sur le fondement d’indices, de charges et de témoignages très précis et concordants que Hassan Diab a été accusé d’avoir appartenu à une ramification du groupe terroriste palestinien FPLP et d’avoir posé la bombe devant la synagogue de la rue Copernic, le 3 octobre 1980.

G. C. Mais alors, pourquoi Hassan Diab sera-t-il absent de son procès ?

C. W.-R. Parce qu’il a été libéré de la prison française où il se trouvait ! Cette libération s’est déroulée dans des circonstances quelque peu étranges… Compte tenu des très lourdes charges retrouvées par les enquêteurs, les autorités canadiennes avaient accepté, en 2014, d’extrader Hassan Diab vers la France, où il a été incarcéré. Il faut quand même souligner que dès qu’il a été présenté à un juge d’instruction, il a protesté de son innocence tout en invoquant « le droit au silence » et qu’il a refusé de répondre à la moindre question du magistrat. Puis, deux ans plus tard, quand un nouveau juge est arrivé dans le dossier, il a déclaré qu’il était prêt à parler. Ses explications alambiquées tiennent largement de l’esquive. Mais, surtout, il a produit les témoignages de cinq anciens étudiants de la fac de Beyrouth affirmant se souvenir – à trente-six ans de distance ! - de la présence de Hassan Diab dans les locaux de l’université le jour de l’attentat. Leurs témoignages sont très fragiles, parfois même contradictoires, et ne sont étayés par aucun document écrit. Les nouveaux juges ont néanmoins estimé que ces témoignages étaient « probants » et ont accordé un non-lieu à Hassan Diab, qui a pu quitter sa cellule et regagner le Canada par le premier avion.

G. C. Le parquet a fait appel de ce non-lieu…

C.W.-R. Oui, et cet appel est resté en carafe durant trois ans devant la chambre de l’instruction sans que rien ne se passe. En janvier 2021, la cour d’appel s’est enfin prononcée. Elle a annulé le non-lieu, ce qui constitue une première en matière d’antiterrorisme, et a renvoyé Hassan Diab devant la cour d’assises. Mais ce dernier est désormais hors d’atteinte, rien ne l’oblige à se présenter devant la Justice française. En cas de condamnation, il n’est pas sûr que les autorités canadiennes consentent à une seconde extradition.

G. C. Dans votre livre, vous évoquez (je cite) « quarante ans de lâcheté et de compromissions », comment expliquer cela, sachant que cet attentat avait bouleversé la France et fait la une de l'actualité durant de longues semaines ?

C. W.-R. Le cas Hassan Diab n’est pas isolé. Il y a eu des précédents. L’histoire politico-judiciaire de ces cinquante dernières années en est jalonnée. En 1977, le chef terroriste palestinien Abou Daoud, organisateur de l’attentat des Jeux olympiques de Munich, avait été honteusement exfiltré de France pour éviter des poursuites. En 1992, la venue à Paris du fondateur du FPLP Georges Habbache avait aussi suscité un scandale, avant qu’il ne soit lui aussi invité à quitter le territoire. On le sait aujourd’hui, les autorités françaises ont passé un « pacte de non-agression » avec un autre terroriste, le sinistre Abou Nidal, dont les émissaires avait été reçus lors d’un mémorable dîner au Lido avec des policiers de la DST. Comme l’a très justement relevé le juge Marc Trévidic, qui est à l’origine de l’identification de Hassan Diab, « il n’a jamais été très porteur, en France, de monter un dossier sur une piste palestinienne. C’est le domaine de la politique et du renseignement, mais la Justice n’y met pas souvent les pieds… »

G. C. Vous faites le parallèle avec l'affaire Merah, en 2012, car « même si le terrorisme palestinien d'il y a 40 ans et le djihadisme d'aujourd’hui fonctionnent sur des schémas différents, à plus de trente ans d'intervalle, les mêmes réactions de déni sont mises en place, les mêmes réflexes conditionnés sont enclenchés. Déni face au terrorisme arabo-musulman, volonté d'allumer un contre-feu, de dresser un rideau de fumée en organisant une vaste et vaine traque au nazi. » La ficelle ne devient-elle pas, quand même, de plus en plus grosse ?

C. W.-R. L’attentat de la rue Copernic a été marqué dès son origine du sceau de la manipulation de l’opinion publique. Dès les premiers jours, une folle rumeur a accusé de fantasmatiques groupes néo-nazis alors que les enquêteurs avaient identifié la piste moyen-orientale. Il faut se souvenir du climat de délire politique qui a perduré durant de longs mois. Cette « fake news », comme on dit aujourd’hui, ne relevait pas seulement de la surenchère médiatique. En 1980, déjà, il s’agissait d’égarer l’opinion et de la détourner des dangers réels menaçant la société française.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 07/04/2023 à 0:04.
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Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

13 commentaires

  1. « le terrorisme palestinien d’il y a 40 ans et le djihadisme d’aujourd’hui fonctionnent sur des schémas différents » Mais le profil des auteurs, leur « culture » n’est pas très différente. 2 faits. 1/Le 11/09/2001 on a pu voir et entendre des manifestations de joie en divers lieux du monde arabo-palestinien, et il fallu que Yasser Arafat monte au créneau -en donnant ostensiblement son sang- pour tenter d’effacer l’impression produite. 2/Ilich Ramírez Sánchez mieux connu sous le pseudonyme de Carlos s’est converti en prison. Et vous savez quelle est sa nouvelle religion.

  2. « terrorisme arabo-musulman »
    C’est insensé d’écrire de genre de propos !
    On va aussi parler de « terrorisme chrétien » ou de « terrorisme juif » ?

    • Boko-haram, Abu Sayaf, le Jihad islamique, le Hamas, le F.IS, le G.I.A, l’E.I, DAECH, Al Qaïda, Al Nosra, Ansar al-Charia, Harkat-ul-Jihad-al-Islami, Al-Ittihad al-Islami, Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin, Jound al-Khilafah, …. et j’en oublie beaucoup. Tous des terroristes juif, chrétien, bouddhiste, shintoïste, athée, animiste …..

  3. En marge de cet entretien, serait il possible d’en finir avec ce principe de « présomption d’innocence ».
    En effet, tant qu’un Tribunal n’a pas prononcé une condamnation, vous n’êtes pas présumé innocent mais tout simplement innocent.
    En revanche la mise en examen sous-entend que le magistrat instructeur a, à votre égard, une présomption de culpabilité, étayée par des « indices graves et concordants »
    Une démonstration par l’absurde reviendrait à dire que si une personne mise en examen est présumé innocente, alors une personne non mise en examen est présumée coupable.
    Vous avez dit bizarre mon cher cousin, comme c’est bizarre.

    • Vous avez tout-à-fait raison de dénoncer cet abus.
      L’un des vecteurs importants de cette présomption abusive d’innocence est d’ailleurs la télévision mainstream. Nous y voyons fréquemment des « journalistes » et autres commentateurs engagés en faire état sur des dossiers dans lesquels les charges sont très lourdes, parfois évidentes, voire consécutives à des flagrants délits ! Dans la majorité de ces cas, une terminologie plus appropriée devrait mettre en avant la notion de « suspect », qui, tout en étant plus exacte, n’engage pas pour autant la moindre certitude de culpabilité jusqu’à la décision judiciaire.
      N’en déplaise à la bien-pensance politicienne à l’origine de la dépénalisation généralisée, elle-même à l’origine, du moins partiellement, de la déstabilisation sociétale actuellement en phase finale.

  4. En octobre 1980 on était quelques mois à peine avant l’élection de F. Mitterrand et toute la gauche par lui réunie avait un intérêt manifeste à accuser une extrême droite fantasmée. Naturellement, après l’élection, le Président avait tout intérêt à maintenir ce flou, dont il était expert pour tout, afin de donner de la crédibilité à ses troupes. Et depuis comme les médias, les politiques dans leur majorité ET presque tous les saltimbanques, protagonistes cinéastes et autres qui, pour avoir l’oreille de la presse et être acceptés par les Zélites, se sont affichés de gauche, le discours majoritaire était-il tout acquis à la thèse de l’extrême droite. Et ce système d’endoctrinement perdure tant il a prouvé son efficacité. Mais il s’agit là d’une traitrise envers le peuple français, une parmi beaucoup d’autres. Et la France s’écroule !

  5. Comme les leçons d’efficacité se perdent, je rappelle que lés chasseurs de nazis étaient plus actifs. Une fatwa israélite pourrait être lancée. On prétend ce monde civilisé. Cette civilisation est aux confins de l’impuissance. Justice n’est pas vengeance mais l’injustice la génère.

  6. Si il y avait eu une vraie droite qui fasse son boulot, on n’aurait pas cru ces manipualteurs de gauche que l’on retrouve dans toutes les sphères de la société . La droite a failli et visisblement cela dure depuis des decennies . Pourquoi ne pas avoir révélé la supercherie à cette époque alors que tout le monde savait que les juges et les politiques de gauche jouaient avec l’opinion?

  7. Pareil pour la rue des Rosiers à Paris, restaurant Goldenberg, août 1982. Pendant des années la thèse couramment répandue et entretenue était la piste des néo-nazis… des néo-socialo-nationalistes.

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