En Afrique, le discours présidentiel aux ambassadeurs ne passe pas

Capture d'écran © Elysée
Capture d'écran © Elysée

Ce 6 février, à l’Élysée, le Président Macron a prononcé un discours à l’occasion de la Conférence annuelle des ambassadeurs. En Afrique francophone, où sont écrites ces lignes, la consternation domine. Exercice d’autosatisfaction narcissique et d’incantation « politico-philosophique » (ce sont ses mots), cette proclamation hors-sol est une justification lancinante de ses échecs sur un ton défensif, voire contre-offensif, condescendant, voire offensant. C’est en tous cas ainsi qu’elle est perçue ici, où elle suscite un tollé général.

Un discours alambiqué...

L’esprit du discours est confus et alambiqué : « Le dialogue avec l'Afrique ne peut pas être l'otage d'un panafricanisme de bon aloi contemporain qui utilise en quelque sorte un discours postcolonial en ayant d'ailleurs des soutiens de revers qui sont les impérialistes d'aujourd'hui… Cette espèce de combination de faux intellectuels manipulant les réseaux sociaux, utilisant le désarroi d'une jeunesse et les intérêts de la Russie ou d'autres en Afrique, soyons lucides, mais n'y cédons pas. » Ce serait donc la faute à Wagner.

Le ton est narquois... et déplacé : « Je crois qu'on a oublié de nous dire merci. Ce n'est pas grave, ça viendra avec le temps. L'ingratitude, je suis bien placé pour le savoir, c'est une maladie non transmissible à l'homme. Je le dis pour tous les gouvernants africains qui n'ont pas eu le courage vis-à-vis de leurs opinions publiques de le porter, aucun d'entre eux ne serait aujourd'hui avec un pays souverain si l'armée française ne s'était pas déployée dans cette région. » Quelle outrecuidance !

... et surréaliste

La prétention est surréaliste : « Je vous fais confiance pour que ce logiciel, qu'on a commencé à changer à Ouagadougou, soit à chaque fois réexpliqué, porté, assumé, comme un logiciel de conquête. » Bon courage aux ambassadeurs de France pour porter cette « approche africaine réinventée » dont personne ne veut. Les Burkinabè gardent un souvenir amer du jeune Président démagogue face aux étudiants, en novembre 2017, de son monologue prétentieux et de ses propos insultants envers le président hôte. À ce niveau, la maladresse est une circonstance aggravante.

Ce discours masochiste revient à tendre le bâton pour se faire battre. À moins que le discours n'ait été bricolé par la même intelligence très artificielle qui a, semble-t-il, effectué la transcription approximative du discours sur le site de l’Élysée, Macron, champion de la communication érigée en mode de gouvernance, aurait-il oublié que toute relation est constituée d’un émetteur et d’un récepteur ? Provoquer une brouille grossière avec ses homologues africains viserait-il à diluer sa responsabilité personnelle ?

Macron n'est pas la France

Un quotidien panafricain résume bien les réactions générales : « Alors que la France perd successivement ses bases militaires et son influence en Afrique, Emmanuel Macron a adopté un ton paternaliste malvenu […] Il a reproché aux dirigeants africains leur manque de gratitude, tout en occultant les échecs de sa politique sur le continent […] La réalité est pourtant bien différente de cette narration présidentielle. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir, la France a subi une déroute historique en Afrique, perdant successivement ses bases militaires au Mali, au Burkina Faso, au Niger et, maintenant, au Tchad et en Côte d’Ivoire. » Derniers de la liste, les départs forcés et précipités des troupes françaises du Tchad et de Côte d’Ivoire sont imputables à une politique africaine insoutenable faute de volonté, de cohérence et de moyens ; de réciprocité et d’adéquation aux véritables besoins.

Le discours décrié est perçu comme le déni d’une France qui refuse de voir sa chute : « Dans ce contexte-là, non, la France n'est pas en recul en Afrique, elle est simplement lucide, elle se réorganise, affirme le président de la République... On a choisi de bouger parce qu'il fallait bouger. » Effectivement, la France bouge, mais par un retrait contraint et provoqué, dans des conditions humiliantes. En réalité, la France officielle a perdu toute crédibilité. « Constatons que la France n’a ni la capacité ni la légitimité pour assurer à l’Afrique sa sécurité et sa souveraineté », conclut le quotidien panafricain.

Heureusement, les Africains d’Afrique distinguent clairement le Président et l’État français des Français expatriés, acteurs socio-économiques, ambassadeurs au quotidien de la culture française. C’est à eux qu’il revient de retisser des liens sains et pérennes avec l’Afrique.

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Jean-Michel Lavoizard
Ancien officier des forces spéciales. dirige une compagnie d’intelligence stratégique active en Afrique depuis 2006

Vos commentaires

52 commentaires

  1. Maman Brigitte a du lui renouveler sa collection de soldats de plomb, il monte dans son salon des stratégies et prend ses désirs pour des réalités….Elle devrait, la prochaine fois, lui acheter un train électrique. Tiens, celui de De Gaulle était en vente, ca aurait pu l’inspirer.

  2. Il y a peu Monsieur Macron pensait que la Guyane était une île ! Comment serait-il possible qu’il ait une vue réaliste sur l’Afrique et la politique que la France pourrait y mener ? Qu’il se brûle les doigts à jouer à l’apprenti sorcier est une chose. Qu’il entraîne la France dans ses aberrations en est une autre….autrement plus néfaste et dangereuse.

  3. Nous sommes en présence d’un « chef de guerre » qui déraille totalement. Pas besoin d’avoir fait Science Po et l’ENA pour déblatérer de la sorte. Macron perd les pédales sans effort. Serait-il sous produits stupéfiants ? A se le demander. De notre vivant nous n’avons jamais entendu de propos aussi déplacés, en inadéquation totale avec la fonction présidentielle. Par ailleurs, l’Algérie nous humilie avec ce renvoi d’un délinquant. Aux yeux du monde, Macron risque fort de perdre le peu d’estime qui lui est encore accordée s’il ne réagit pas à hauteur de cet affront.

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