Ce 24 septembre, le Premier ministre par intérim du Mali, Abdoulaye Maïga, a prononcé un discours marquant au siège des Nations unies, dénonçant la triple ingérence dans ses affaires intérieures par l’ONU, par l’État français et par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). « Le Secrétaire général des Nations unies n’est pas un chef d’État, ni les membres de la CEDEAO des fonctionnaires », a-t-il rappelé.

Pour rappel, le 18 août 2020, un groupe de militaires dirigé par le colonel Assimi Goïta, actuel chef de l’État et président du gouvernement de transition, avait mis fin à sept ans de corruption et de népotisme institutionnalisés du régime d’Ibrahim Boubacar Keita (IBK). Avec un soutien massif de la population malienne, mais sans préavis ni « autorisation » de la communauté internationale.

Le réquisitoire est vigoureux : « Les autorités françaises, profondément antifrançaises pour avoir renié les valeurs morales universelles et trahi le lourd héritage humaniste des philosophes des Lumières, se sont transformées en une junte au service de l'obscurantisme », lance Abdoulaye Maïga. Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères français, a répondu, sur un ton peu assuré, par les habituels éléments de langage. « Le régime [malien], auteur d’un double coup d’État, s’en prend un jour au Danemark, un autre jour à la Côte d’Ivoire, et toujours à la France, réplique la ministre. Pour tenter de faire oublier qu’il navigue à vue, d’échec en échec, attelé à un groupe de mercenaires russes. Pourtant, en janvier 2013, c’est bien la France, par son intervention, qui a permis que Bamako ne connaisse pas le sort de Mossoul un an plus tard. »

Toutes proportions gardées, puisqu’il est question du groupe russe Wagner, les pressions et les sanctions exercées à l’encontre du Mali évoquent celles, contre-productives, exercées contre la Russie depuis six mois. La même guerre de l’information s’y déroule, qui a valu à des médias français subventionnés (France 24, RFI) d’être expulsés du Mali, en mars dernier, accusés d'avoir exagérément servi le discours politique hostile au régime de transition.

Le Mali a un atout face à la France : il agit en tant que souverain dans son pays, alors que la France intervient depuis l’étranger comme redresseur de torts. Certes, l’échéance électorale au Mali, initialement fixée à début 2022, a été reportée à mars 2024. Elle était irréaliste au vu de la complexité socio-politique du Mali et elle a été fortement gênée par les pressions et les sanctions étrangères. Car le péché originel de ce pouvoir restera toujours de s’être affranchi du consentement de la communauté internationale, dont la position consiste habituellement à privilégier « à tout prix » la stabilité, quitte à soutenir des dirigeants nuisibles mais obéissants.

Or, les populations africaines n’aspirent pas à la stabilité quand celle-ci signifie l’immobilité sociale et l’accaparement, par une minorité, des richesses du pays au détriment de son développement. La paix n’est pas l’absence de guerre, et le fossé entre les « élites » et les populations ne cesse de s’aggraver. Elles attendent de leurs dirigeants qu’ils redistribuent une part décente des ressources nationales et des aides internationales (« après détournements », comme on dirait « après impôts ») et qu’ils leur assurent un coût de la vie supportable, l’accès à des soins médicaux et à une éducation dignes de ce nom, secteurs sinistrés en Afrique quoique perfusés d’argent international.

L'État français n’est ni crédible, ni audible, en Afrique. Il se comporte en donneur de leçons de démocratie et de souveraineté nationale. Pour preuve, le discours du Président Macron, le 20 septembre dernier, à l’ONU, lors d'un appel vibrant et schizophrène « au respect des souverainetés nationales », alors qu’il brade continûment celle du pays dont il a la charge, au profit d’une Europe alignée sans réserve sur les États-Unis.

Dans ces conditions, on peut douter de la capacité à étouffer les révoltes populaires de la future « force anti-putsch » annoncée récemment par le président en exercice de la CEDEAO, projet exotique et inédit, soutenu politiquement par Macron – et financièrement par la France.

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26 septembre 2022 à 18:54

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17 commentaires

  1. Notre politique africaine a toujours été mauvaise . Ça ne veut pas dire qu’on a laissé tomber nos anciennes colonies . Infrastructures routières , portuaires , urbaines , c’est quand même la France qui les a réalisées .
    Il serait souhaitable que tous les Africains résidant chez nous , retournent chez eux pour mettre leur pays en valeur . Que les étudiants qui viennent se former s’en retournent aussi au pays pour les mêmes raisons … Ce que je dis n’est pas raciste , mais c’est du bon sens . Sinon , ces pays vont manquer de cadres .

  2. Après Pompidou les français ont « voté » pour une succession de Présidents de la république dans l’ensemble « bons à rien et mauvais à tout » (!) dixit mon ancien boss. Macron est sans doute le pire de tous mais la gestion de nos relations avec l afrique, et le Mali en particulier , à empiré (!!!) depuis Chirac Sarkozy et Hollande. Le Mali c’est le retour du boomerang et ce pauvre Macron ne peut s’en sortir. Il n’en a pas les capacités intellectuelles , humaines et …humanistes. Vae victis.

  3. Honni soit qui Mali pense…
    Nous avons tort de toiser la « tradition orale », qui a précédé l’écrit, figeant les pensées et postures de nos élites.
    L’absence de mémoire va de pair avec l’ascension vertigineuse des mémoires numériques, et la revanche des hommes ayant des cultures enracinées est proche.
    Toutes les mécaniques sophistiquées peuvent s’enrayer avec un grain de sable.
    Quels pouvoirs robotisés pourront résister aux vents de sable ?

  4. Ceci ne date pas, à l’évidence, du coup d’État de la junte malienne, mais ces colonels incarnent bien ces officiers d’opérette que la France a essayé de former sans grand résultat autre qu’un goût démesuré pour le pouvoir et une arrogance inversement proportionnelle à leur compétence. Cela montre bien les limites de la « coopération » payée par nos impôts et notre sang. Ne serait-il pas temps que l’État consacre notre argent aux Français qui souffrent sur la terre de France au lieu de le gaspiller à fonds perdus pour entretenir des incapables qui se moquent de leurs peuples.

    1.  » Ne serait-il pas temps que l’État consacre notre argent aux Français » et pas seulement pour sa politique étrangère.

  5. Le Mali est indépendant depuis 62 ans et depuis 62 ans nous finançons ce pays formé d’ethnies différentes qui ne s’entendent pas entre elles et se guerroient en permanence. Hollande a envoyé de valeureux militaires se faire tuer pour un peuple qui nous déteste dont une partie vient vivre chez nous des aides sociales au lieu de se battre et participer à l’économie de leur pays. La France doit stopper toutes les aides financières aux pays africains qui nous rejettent et faire revenir nos soldats qui seraient plus utiles dans les banlieues.

  6. a l’époque de AEF ou de AOF la FRANCE était présente et s’occupait de toutes les populations (tribus et clans différents)
    j’ai vécu 17 ans en afrique (pas de club med à l’époque), la population venait voir le « toubab » pour régler les problèmes.
    maintenant c’est la corruption a tous niveaux et ce sont toujours les petits qui subissent. ne parlons pas de notre politique africaine avec l’équipe dirigante actuelle, c’est le néant, le grand vide du en même temps, comme pour nous

    1. Bonjour Bertrand, J’ai grandi en partie en Afrique avant les indépendances et j’ai ensuite travaillé dans onze pays africains. Pour aller dans votre sens, je remarque aussi que durant la colonie aucun africain n’était malheureux au point de risquer sa vie pour traverser le Sahara et la Méditerranée et se sauver en Europe. C’est l’échec des africains qui provoque cet exode.

  7. En fait, cet intérimaire n’a pas tout à fait tort. Depuis un certain temps la politique africaine de la France est du grand n’importe quoi. Comme Macron nous l’a montré, ils ne connaissent rien à l’Afrique et ne font que des bourdes et des impairs, et on nous raconte que ce qu’on veut bien nous raconter. Macron a fait le tour de force de fâcher beaucoup de pays africains avec la France.

  8. Ce gouvernement fait penser à une super femme de ménage pardon technicienne de surface dont le domicile laisse à désirer. Tant qu’on donne des leçons on ne fait pas le ménage dans son propre pays.

  9. Il serait « grand temps » de lâcher totalement ces pays africains et surtout leurs redonner toutes ces « forces vives » qui sévissent en France … Il est « grand temps » qu’ils conservent leurs autonomie propres industrielles et donc il faut rapatrier au plus vite tout ce que macron a bradé venant de la France …
    Commerçons avec nos voisins européens et stoppons ces « traités unilatéraux » avec ces pays « souverains » qui veulent le beurre et l’argent du beurre et tuent la crémière en plus …

  10. La France a de grands torts en Afrique et principalement au Mali dont les populations sont divergentes d’éternité, de races comme de religions et n’ont nulle envie de « vivre ensemble » . Les frontières de ce pays font abstraction de tout ce qui peut lier des peuples pour en faire une nation . Du temps des Français cet assemblage tenait debout par la force de l’administration coloniale de type Jules Ferry qui avait mission de nier les races comme les religions . Depuis que ce corset a disparu les ethnies se combattent sans cesse . Leurs Sociétés ne sont pas viables et ne s’exercent qu’à la machette ou à la kalachnikov. Cet état de fait confirmé par les urnes fait regretter le temps des Colonies par les colonisés eux-mêmes.

    1. Le découpage de l’Afrique a été fait par les européens (Clémenceau ) avec les résultats que l’on voit. Aussi, les africains ne sont pas capables de s’entendre entre eux.

      1. Bonjour Evariste, Effectivement, au Mali les bambaras, les peuls, les touaregs, les dogons, les bobos… ont du mal à s’entendre entre eux. Et s’il avait fallu créer un pays par ethnie, il n’y aurait pas 54 mais plusieurs milliers de pays en Afrique. Voici de que disait Houphouët-Boigny premier président de la Côte d’Ivoire a propos de son pays : « …soixante tribus que ne se connaissaient pas, qui n’avaient pas la même façon d’organiser leur société. Les villages tous les vingt-cinq kilomètres, étaient aussi éloignés que le Portugal et la Russie. »

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