Emmanuel Macron veut-il faire la guerre à la Russie ?

Question provocatrice ? Pas plus que ne le sont les propos tenus, vendredi, par le Président à l’égard de la Russie, lors de sa conférence de presse avec la chancelière Merkel : "J’aimerais redire un mot de solidarité à l’égard de la Grande-Bretagne, qui a subi une attaque sur son sol, redire que nous condamnons cette ingérence russe et ce qui s’est passé, puisque tout porte à croire que c’est la Russie qui a conduit cette tentative d’assassinat." On aurait voulu faire monter la tension avec Moscou qu’on ne s’y serait pas pris autrement.

Car l’expression "attaque au sol" porte en elle une charge explosive que celui qui connaît bien le poids des mots ne peut ignorer. Que la Russie soit derrière cette affaire d’empoisonnement est vraisemblable. Que le Premier ministre britannique veuille exploiter à son profit cette affaire est possible aussi. Mais que le Président français sorte de la zone de prudence ne peut être qu’inquiétant.

D’autant plus inquiétant que, le même jour, le chef d’état-major des armées (CEMA), le général François Lecointre, intervenait à la matinale d’Europe 1 de Patrick Cohen. Ce dernier posa au CEMA cette question : "Emmanuel Macron a répété, il y a quelques jours, qu’il y aurait riposte immédiate de la France en Syrie si la ligne rouge d’utilisation des armes chimiques étaient franchie… Mais avons-nous les moyens d’intervenir et de frapper au plus vite sur ce théâtre ?" Réponse du CEMA : "Vous imaginez bien que le Président Macron n’aurait pas fait ce type de déclaration s’il ne savait pas que nous avons les moyens de le faire." Et d'évoquer, pour la France, la capacité d'intervenir "en autonomie". Envoyer en première ligne médiatique, baïonnette au canon, le plus haut responsable militaire français n’est pas anodin. Car on imagine bien que le général Lecointre n’aurait pas fait ce type de déclaration sans connaître « l’intention du chef », pour prendre une terminologie militaire. Que nous ayons les moyens d’intervenir en Syrie n’est pas le sujet. Le général Lecointre n’a pas voulu – et c’est normal – donner de détails de planification et ce n’est pas trahir un secret que de dire que l'état-major d’un pays comme le nôtre se doit d'imaginer tous les scénarios possibles. Mais ces propos, tenus par le bras armé du chef des armées qu’est le Président, procède d’une montée des tensions évidente. Le député Front national Louis Aliot, membre de la commission de la Défense, du reste, a tweeté samedi matin : "Est-ce que les parlementaires français pourraient être informés de la réalité de ces déclarations inquiétantes ?"

Propos d’autant plus inquiétants que, le 1er mars dernier, le sénateur russe Vladimir Jabarov, vice-président de la commission pour les affaires internationales du Conseil de la Fédération russe, déclarait dans une interview à Sputnik qu’en cas de frappe contre les alliés de la Russie, "nos ennemis doivent savoir que la Russie est toujours prête à contre-attaquer" et qu’une telle attaque serait considérée comme "une frappe contre notre pays et la réaction serait immédiate". Or, la Syrie reste l’allié de la Russie…

Les interventions militaires de la France devraient répondre à deux critères essentiels. D’abord, qu’elles relèvent des seuls intérêts de la France. La France a-t-elle intérêt à frapper Assad ? Ensuite, qu’elles soient marquées du sceau de la légitimité internationale. En clair, de l’ONU. Or, le Président et le CEMA parlent de l’allié américain, de l’OTAN. Pas de l’ONU.

Il y a quinze ans, jour pour jour, le président Bush lançait son ultimatum unilatéral, sans consultation des Nations unies, à Saddam Hussein, lui enjoignant de quitter son pays sous 48 heures. On connaît la suite. Le Président Chirac avait alors immédiatement réagi en déclarant dans une courte allocution : "S’affranchir de la légitimité des Nations unies, privilégier la force sur le droit, ce serait prendre une lourde responsabilité."

À se demander si, aujourd'hui, Macron ne veut pas "sa guerre" puisque, pour entrer dans l'Histoire, il faudrait que tout Président ait la sienne. Il paraît que "le nationalisme, c'est la guerre". Espérons que nous n'aurons pas à en dire autant du macronisme...

Georges Michel
Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

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