« Le débat est interdit. Qui veut l’ouvrir est excommunié, chassé du cadre républicain »

Thierry Bouclier, vous venez de faire paraître une nouvelle édition augmentée de votre savoureux livre La République amnésique. On y découvre, en lisant les déclarations minutieusement collectées par vos soins, que la République n'a pas toujours été si bégueule et puritaine qu'aujourd'hui et que certains figures bien connues et reconnues - de gauche, notamment - seraient accusées aujourd'hui, avec des cris d'orfraie, de "déraper"…  

La classe politique dans son ensemble ne cesse de se référer à des valeurs républicaines et à un fameux « pacte républicain ». Ces incantations donnent le sentiment que, sur des sujets comme l’accueil des populations étrangères, le refus de toute discrimination, le mariage entre des personnes de même sexe, l’adhésion sans réserve à l’Union européenne ou la reconnaissance de l’avortement comme un droit fondamental, les républicains ont toujours tenu le même discours. Il y aurait une intemporalité de ces valeurs et de ce pacte. En conséquence, toute personne qui s’écarte du discours dominant actuel s’exclut du champ républicain. La réalité est tout autre. Jusqu’au début des années 1980, « la France pour tous » n’était pas le slogan de tous les républicains. Les positions de Roger Salengro, du général de Gaulle ou de Georges Marchais, et même de l’abbé Pierre, feraient bondir nos hommes politiques actuels. Autre exemple : la famille. La position du Parti communiste sur la famille traditionnelle, défendue jusqu’à la fin des années 1970, ferait passer la Manif pour tous pour un mouvement horriblement transgressif. L’Union européenne, qui constitue l’alpha et l’oméga de l’avenir de la France : la gauche et une grande partie de la droite ne s’y sont ralliées de manière inconditionnelle qu’à partir du milieu des années 1980. L’IVG ? Les propos de Simone Veil, en 1974, seraient considérés comme « nauséabonds » aujourd’hui. La sécurité ? L’intransigeance de la Troisième République vis-à-vis des délinquants de toute sorte serait aujourd’hui qualifiée « d’idéologie sécuritaire ».

Comment expliquez-vous ce long glissement ? 

Le plus choquant n’est pas l’évolution des points de vue. L’insupportable résulte des interdits et des anathèmes. Il n’y a plus de débat possible. Il n’y a que des incantations et des condamnations, morales et judiciaires. Il y a désormais des mots interdits. Celui qui les prononce s’exclut du périmètre républicain. Le mot "race" en est un exemple. Employé par de Gaulle ou Pompidou, sans aucun jugement de valeur, il est désormais banni du vocabulaire. Je crois que nous sommes arrivés au bout du processus de Mai 68. À cette époque, il était « interdit d’interdire ». Foutaise ! L’esprit de 68, qui a imprégné toute la société, a débouché sur une société pudibonde et moralisatrice, où l’interdit est la règle et la liberté l’exception. Participent de la même logique : la diffusion de l’idéologie antiraciste à partir des années 1980 et son corollaire, la référence permanente à la Seconde Guerre mondiale.

Depuis la première édition de votre livre, en 2008, avez-vous le sentiment que le phénomène s'est encore accéléré ?

Absolument. L’exemple le plus frappant est le mariage entre personnes de même sexe. En 2008, cela semblait encore une aberration pour le plus grand nombre. De gauche comme de droite. Il était possible, sans craindre les foudres du politiquement correct, de ne pas y être favorable. Il y avait un débat qui transcendait les courants politiques. Un homme de gauche pouvait faire la promotion de la famille, fondée sur un père et une mère, sans crainte de passer pour un réactionnaire. Rares étaient ceux qui auraient osé affirmer qu’il n’était pas républicain. Maintenant, c’est terminé. Le débat est interdit. Celui qui veut l’ouvrir à nouveau est excommunié et chassé du cadre républicain. Le mariage pour tous est désormais une valeur républicaine. Les grandes figures de la Troisième, de la Quatrième et du début de la Cinquième République doivent se retourner dans leur tombe. Je pense en particulier au communiste Jacques Duclos.

Propos recueillis par Gabrielle Cluzel

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Me Thierry Bouclier
Avocat - Avocat au barreau de Bordeaux, spécialiste en droit fiscal https://www.avocat-bouclier-fiscaliste-bordeaux.fr/

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