Changement d’heure au Liban : le calendrier caché du Premier ministre musulman

photo-output

Au Liban, jusqu'à ce qu'il revienne finalement sur sa décision, le gouvernement de Najib Mikati avait décrété qu'il repousserait d'un mois le changement d'heure pour faciliter le ramadan. Résultat dimanche dernier : une grande confusion dans tout le pays entre ceux qui, refusant cette mesure, avaient changé d'heure, et les autres. Finalement, le ministre a annoncé que le Liban passerait à l'heure d'été dans la nuit de mercredi à jeudi. Comment expliquer cette mesure inique dans un pays déjà frappé de plein fouet par des crises économiques et politiques majeures ?

Iris Bridier. Pendant trois jours, le Liban a vécu dans une situation assez perturbée avec deux fuseaux horaires, que s’est-il passé ?

Richard Haddad. Le Premier ministre (musulman sunnite) démissionnaire (donc au pouvoir limité aux affaires courantes) a pris la décision de reporter le passage de l’heure d’hiver à l’heure d’été d’un mois « pour ne pas rallonger les journées du ramadan ». Cette décision a été prise en concertation avec le président de la Chambre des députés (musulman chiite) lors d’une discussion privée ! Tout cela n’était pas légal, d’autant plus que le poste le plus élevé de l’État revenant à un chrétien est vacant depuis des mois. Les chrétiens ont immédiatement réagi en rejetant cette décision et en appliquant le changement d’heure dans leurs régions. Étant ultra-majoritaires dans le secteur économique et éducatif, la décision du Premier ministre ne s’est appliquée que dans la fonction publique pendant quelques jours avant qu’il ne finisse par y renoncer. Cette affaire a été une démonstration de force pour les chrétiens et un échec du Premier ministre qui testait leur réaction.

I. B. Que vous inspire cette décision du Premier ministre libanais, lui-même musulman, de tenter de réduire la durée du jeûne ?

R. H. Le but caché du Premier ministre n’était pas de réduire le jeûne de ses coreligionnaires mais d’octroyer aux communautés musulmanes des pouvoirs supplémentaires leur permettant de modifier le mode de vie de la population et d’affaiblir l’influence des chrétiens sur le pays. Il n’est pas à sa première tentative. Quelques semaines auparavant, il avait créé une polémique sur le nombre des chrétiens au Liban, estimant qu’ils n’étaient que 19 % (chiffre totalement farfelu), posant de facto la question de leur légitimité à détenir certains pouvoirs.

I. B. Comment se répartissent et coexistent les différentes religions au Liban, actuellement ?

R. H. Le paysage politico-religieux est divisé en quatre parties : les chrétiens (40 %), les musulmans sunnites (25 %), chiites (25 %) et Druzes (8 %), ces données étant des estimations non officielles. Quant à la coexistence, elle est de plus en plus inexistante, chrétiens et musulmans ne se mélangent pas et vivent chacun dans leur région ou dans leur quartier en regardant l’autre avec méfiance.

I. B. Pourquoi le Liban est-il sans président de la République depuis cinq mois ?

R. H. Le mandat du dernier président s’est achevé après les élections législatives qui ont donné une majorité à l’opposition. Le Hezbollah et ses alliés n’admettent pas l’élection d’un président issu du camp adverse qui exigerait leur désarmement. Ils bloquent donc l’élection en provoquant un défaut de quorum (deux tiers des députés présents lors du vote) au Parlement. Quand il sont dans l’incapacité d’imposer un chrétien qui leur obéit à la tête de l’État, ils bloquent les institutions.

I. B. Depuis l’explosion du port de Beyrouth, la situation économique du Liban s’est-elle améliorée ?

R. H. Non pas du tout. Aucune réforme économique n’a été faite, aucune loi n’a été votée et les aides du FMI ne peuvent être accordées sans cela. Le pays est sans président depuis cinq mois et sans vrai gouvernement depuis plus de deux ans. Ceux qui bloquent les institutions n’en ont que faire. Le Hezbollah, en plus de posséder une puissante milice armée, a créé en toute illégalité sa banque (qui échappe à la Banque centrale), ses institutions, son système de santé… L’effondrement de l’État est son but, il veut construire un nouveau Liban à son image.

I. B. Qu’est-ce qui fait tenir le peuple libanais ?

R. H. Les Libanais sont repliés dans leurs communautés, ils survivent grâce aux aides internationales et surtout grâce aux expatriés qui envoient des devises à leurs familles. Par ailleurs, les chrétiens, la population la plus instruite du pays, émigrent fortement. Ceux qui restent se sont radicalisés et résistent frontalement aux tentatives de domination des musulmans.

Picture of Iris Bridier
Iris Bridier
Journaliste à BV

Vos commentaires

11 commentaires

  1. La France devient petit à petit le Liban occidental. Encore un peu de macron et ce sera définitif.

  2. le but : »octroyer aux communautés musulmanes des pouvoirs supplémentaires leur permettant de modifier le mode de vie de la population et d’affaiblir l’influence des chrétiens sur le pays. »
    Exact. Parce que l’heure officielle n’a strictement rien à voir avec l’heure solaire.
    Donc, en réalité si on veut respecter le rituel du ramadan, il faut rompre le jeune au coucher du soleil, quelle que soit l’heure!
    Et, à moins de travailler la nuit ou finir très tard, le soleil se couche maintenant bien après la fin de la journée (tout dépend effectivement du fuseau horaire, mais encore, je n’en suis aps certaine)

  3. Encore une fois, ça a mis le bazar dans un pays, parce que l’islam à décidé de faire différemment des autres…

  4. Curieux jeûne temporaire que celui qui consiste à faire ripailles dès le jour tombé et consommer plus que de raison !

    • Le carême catholique est plus sain, puisqu’il pousse les gens à moins manger surtout moins gras. Le poisson le vendredi était surtout fait pour les pêcheurs et contre la viande trop “riche“.

  5. Mon Dieu », si j’ose dire ?
    Et le mec est premier ministre !
    Entre la FFF qui heureusement refuse la « rupture du ramadan » durant les matchs, et le Liban qui fait tourner bourrique les aiguilles des horloges, le monde perd la boule…
    Ah oui, suis-je donc sot, pour certains la terre serait toujours plate.
    Et dire qu’il faut en arriver au XXIème siècle pour vivre toutes ces aventures « aussi sottes que grenues », comme dirait l’autre !

  6. Ouh là là, le Liban, heureux pays, qui n’a rien de plus important à considérer! Une heure de Ramadan en plus: vont-ils nous recommencer une guerre civile pour ça?

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

Un vert manteau de mosquées

Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois