Castex et la madone des sleepings

la madone des sleepings

Il ne manquait donc plus que la casquette du contrôleur de la SNCF pour que Jean Castex soit totalement crédible, lorsqu’il souhaita la bienvenue aux passagers du train de nuit, au départ de Paris et en partance pour Nice. On s’est moqué du Premier ministre qui, nous dit-on, est passionné depuis son enfance par le rail. Ce n’est pas gentil car la passion du rail, c’est quelque chose. Elle commence souvent en culottes courtes autour du sapin de Noël et peut se terminer, toujours à quatre pattes, pour le retraité dotant son appartement d’un dense réseau ferré, digne des plus grandes nations industrielles, au grand dam de son épouse.

Bienheureux celui ou celle - il y a bien des madones des sleepings, on ne voit donc pas pourquoi cet attrait pour le rail ne pourrait être que masculin - dont cette innocente passion n’aura pas été émoussée par les longues attentes sur des quais de gares bondés de foules hagardes par temps de grève. Pas de demi-saisons pour ces arrêts de travail, la loi de l’emmerdement maximum étant la mieux respectée dans ce pays : l’hiver, histoire de se geler dans le hall de gare, l’été à profiter de ses voisins de galère, auréolés de transpiration. Et ses trimbalements de quai en quai parce que le 13 h 38 partira finalement de la voie A et non pas de la voie B ! Pour des raisons aussi mystérieuses que techniques. Mais de quoi se plaint-on ? Aujourd’hui, on a inventé la valise à roulettes qui n’a plus rien à voir avec celle en carton que l’on entourait d’un tendeur parce que, dans la France de papa, on était ceinture et bretelles. Ah, ce bruit des roulettes de valises sur le quai de gare, couvrant les sonneries de portables et les appels pour dire qu’on aura du retard, qu’on rappellera, que c’est le bordel. Vous noterez qu’on dit « mouvement social » pour justifier, justement, l’arrêt des trains, le départ avec deux heures de retard du 17 h 39 ou, carrément, son annulation.

Bien sûr, si le rail a ses heures sombres, il a aussi ses moments de bonheur, pour un peu que le déprimé du vendredi soir ou le chevreuil du bois d’à côté ne viennent pas s’offrir en holocauste à la locomotive qui en a vu passer d’autres sur son chemin. Le train qui part pile-poil à l’heure, la voiture de première, car on ne dit pas wagon (le wagon, c’est pour les marchandises, les chevaux ou les militaires : « Hommes 40 - chevaux 8, du moins autrefois), la voiture de première, donc, clairsemée de quelques personnes bien élevées ne passant pas leur temps à raconter leur life au téléphone, à mastiquer des sandwiches puants ou à vous passer par-dessus pour aller au petit coin. Des moments rares.

Le lecteur me pardonnera l’évocation d’un souvenir personnel. C’était il y a une quinzaine d’années. Gare TGV d’Avignon. Je venais d’acheter un livre (de gare ?) : le dernier d’Ormesson, dont j’ai oublié le titre. J’arrive sur le quai. Et je tombe devant… Jean d’Ormesson. Je n’ai pas eu le culot de demander une dédicace du bouquin que je tenais dans la main. En revanche, dans mes innombrables voyages de nuit, je n’ai malheureusement jamais rencontré cette fameuse Madone des sleepings. Mais puisque Jean Castex, qui, décidément, ressemble de plus en plus à Laurent Gerra imitant un Jean Castex du temps de la TSF, de la 4CV et des trains à vapeur, nous invite à la nostalgie, lisons ou relisons La Modification de Michel Butor. « Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant… » Le train à destination de Rome va partir…

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 25/05/2021 à 22:02.
Georges Michel
Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois