La vidéo tourne de plus belle sur les réseaux sociaux, bien partie pour figurer dans le haut du palmarès BoJo, avec celle du tractopelle. Mais elle remonte à 2013, quand Boris Johnson était maire de Londres. Invité à un festival d'écrivains à Melbourne, BoJo évoque la littérature classique et le soutien qu'il y puise dans les moments difficiles. Really? Et le voilà parti pour réciter - en grec ancien, s'il vous plaît... - à la fois de façon expressive et décalée, vivant et mimant la colère du divin Achille, les cinquante premiers vers de l'Iliade. Suscitant l'admiration et le rire de l'intervieweuse, du public et de centaines de milliers d'internautes aujourd'hui encore.

Tout professeur de grec que je suis, et malgré ma fascination pour les poèmes homériques, je suis bien incapable d'en faire autant ! Je sais aussi que peu d'hommes politiques et de dirigeants, en France et dans le monde, seraient en mesure de le faire. J'entends d'ici les « BoJophobes » crier que ce n'est pas ça qui fait un bon Premier ministre. Mais là n'est pas le sujet. Quoique... Et cette appropriation des classiques a le don d'agacer la gauche anglaise, comme Charlotte Higgins, la responsable « culture » du Guardian, qui nous explique que chez BoJo, « cet amour des classiques est uniquement tourné vers une chose : lui-même » ! Very ugly!

N'en déplaise aux grincheux encore « encorbynés », cette scène est fascinante et profondément révélatrice, revue en décembre 2019, maintenant que Johnson a réussi un retournement de situation politique sans précédent et remporté une victoire électorale historique. En effet, on épiloguait ici et là pour savoir comment cet histrion avait pu réussir ce coup, cette jonction historique des électorats populaires et bourgeois. Histrion, BoJo l'est sans conteste. Mais la politique impose de l'être. Alors, histrion pour histrion, pourquoi cet acteur-ci l'a-t-il emporté sur tous les technos de son camp et de l'autre ? Cette scène shakespearienne tout droit sortie de ses années d'étude en lettres classiques nous le montre dans sa profondeur, celle de sa formation, de sa culture, de son rapport au verbe. Dans sa vérité aussi : oui, il sort d'un milieu cultivé mais, contrairement à beaucoup d'autres, il ne va ni le renier ni en devenir condescendant. Profondément anglais, profondément lui-même, c'est ce qui a séduit les Anglais.

Et puis, à y réfléchir, il y a un rapport plus profond entre ces vers millénaires de l'Iliade et BoJo : ces premiers mots que BoJo a mémorisés comme autrefois les aèdes et qui bruissent de colère, de querelles et de discours entre chefs grecs en présence de leur peuple, sous le regard des dieux, alors que la guerre attend, c'est bien la situation démocratique par excellence. Mieux : la faute initiale d'Agamemnon envers les dieux et Achille, c'est un peu la métaphore de ce Brexit trahi qui pourrissait la vie politique outre-Manche depuis trois ans.

Mais arrêtons là : non content de faire de BoJo un héros homérique, un Achille de la politique anglaise, j'en ferais un prophète, six ans avant son exploit.

Pour Noël, Boris Johnson vient d'appeler ses compatriotes à « ne pas trop se disputer ». Notre histrion d'Oxford aurait-il, en plus, médité les leçons de l'Iliade ? Un héros homérique, vous dis-je.

Et vous n'avez pas encore vu ses premiers vœux de Noël en tant que Premier ministre.

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25 décembre 2019 à 8:59

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