Blake et Mortimer, l’œuvre d’Edgar P. Jacobs, victime d’un second détournement
C’est à la fin des années 90, on s’en souvient, que la maison d’édition Dargaud s’était lancée dans une reprise des aventures de Blake et Mortimer. Dix ans après la mort d’Edgar P. Jacobs, leur auteur, les deux héros britanniques allaient enfin connaître une seconde vie. À cette tâche, différents tandems de scénaristes et de dessinateurs se succédèrent. Si Yves Sente et André Juillard firent honneur à Jacobs à travers leurs histoires (on pense à La Machination Voronov, au Serment des cinq Lords, ou au Testament de William S. qui furent de beaux succès artistiques), Jean Van Hamme et Ted Benoit nous offrirent sans conteste les meilleurs tomes de ces nouvelles aventures. L’Affaire Francis Blake et L’Étrange rendez-vous, en effet, n’eurent rien à envier à la série d’origine. Si l’on veut bien faire l’impasse sur quelques fausses notes dans cette ère post-Jacobs, telle que L’Onde Septimus ou Le Bâton de Plutarque, force est de constater que la reprise de Blake et Mortimer est globalement une réussite. Du moins, elle le fut jusqu’à récemment…
Notre ami Richard Hanlet relevait déjà, en octobre dernier, une première tentative de récupération de l’œuvre de Jacobs à des fins politiques. Le journal Spirou avait fait paraître, à l’époque, un numéro spécial afin d’illustrer par la bande dessinée les trente articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Blake et Mortimer furent alors instrumentalisés au détour d’une planche dans laquelle on les vit tenir un discours pro-migrants. « Des réflexes populistes, renchérissait Mortimer dans une bulle, ont ressurgi chez certains de nos concitoyens ». Une posture pour le moins surprenante de la part de gentlemen britanniques dans la haute société londonienne de 1959… Yves Sente et André Juillard eurent sans doute mieux fait de rester à leur place que de prendre part à cette captieuse entreprise.
Plus grave encore, mais dans la continuité de cette affaire, on a récemment pu découvrir en librairie un nouvel album de Blake et Mortimer ouvertement politisé. Une première pour cette série !
Le Dernier Pharaon, de Jaco Van Dormael, Thomas Gunzig et François Schuiten, au départ, ne manqua pas d’attiser notre curiosité. L’histoire de ce hors-série se voulait une suite plus ou moins directe du Mystère de la grande pyramide et les dessins de Schuiten, faisant l’impasse exceptionnellement sur la ligne claire jacobsienne, promettaient une relecture originale de la saga.
Quelle ne fut pas notre surprise, au fil des pages, de découvrir disséminés, çà et là, quelques « messages » en conformité parfaite avec la doxa contemporaine. Nous avons d’abord droit au bon vieux discours antimilitariste traditionnel consistant à dépeindre l’inconséquence et la bêtise crasse d’une armée prête à lâcher des bombes nucléaires dans une capitale européenne afin d’éradiquer une faille électromagnétique surpuissante.
Puis vient le discours pro-migrants (ou « pro-clandestins », si l’on veut éviter le novlangue) à travers le personnage de Lisa, une Égyptienne qui s’est réfugiée en Angleterre avec ses parents pour fuir la guerre civile car « ici, personne ne demande ses papiers à personne »… Faut-il préciser que c’est grâce à elle que Mortimer sauvera le monde à la fin et que les deux entameront vraisemblablement une idylle. Sauver le monde, oui, mais de quoi ?
De la technologie, ni plus ni moins, et dans son sens le plus large. La puissance électromagnétique libérée par Mortimer à la fin du récit permettra d’annihiler toute source d’énergie électrique sur Terre, redonnant à la planète bleue un nouveau départ… Fini les « data centers », nous dit-on, fini l’informatique ainsi que les systèmes de gestion financière. Les dettes des États, et celles du tiers-monde en particulier, sont envolées ! Les riches connaîtront (enfin ?) la ruine !
Tandis que le militaire Blake condamne l’armée, le scientifique Mortimer tourne le dos sans la moindre hésitation au progrès technologique et se mue malgré lui en héros de la cause anticapitaliste et décroissante, initiateur de la révolution verte sur le globe. Comprendre par là que les deux héros se sont rachetés de leurs mauvais engagements passés… La récupération politique est totale et va jusqu’à dénaturer en profondeur nos personnages.
Le battage de France Inter autour de ce hors-série aurait déjà dû nous alerter. On comprend mieux, à présent, le refus des ayants droit de Tintin de continuer avec de nouveaux auteurs l’œuvre d’Hergé.
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