Baccalauréat : le « grand oral » sera-t-il la victime collatérale de l’épidémie ?

bac

C'est l'épreuve emblématique du nouveau baccalauréat, et voilà qu'un simple virus, tel le nez de Cléopâtre, change la face du monde et le fragilise ! Jean-Michel Blanquer, décidément, joue de malchance : non seulement l'enseignement à distance est perturbé par des bugs, des espaces numériques de travail sont saturés – on évoque même des attaques informatiques venues de l'étranger ! –, mais sa réforme est mise à mal. Après les aménagements successifs qui ont réduit le bac comme peau de chagrin, c'est au tour du « grand oral » d'être sur la sellette.

Les interrogations se multiplient sur cette épreuve, inspirée d'un rapport au titre aussi pompeux que factice, rédigé par un professeur d'art oratoire à Sciences Po Paris : « Faire du Grand oral un levier de l'égalité des chances. » Des syndicats en demandent la « neutralisation », des lycéens ont lancé une pétition pour réclamer sa suppression. Selon Le Parisien, Jean-Michel Blanquer, qui tient à sa réforme, envisagerait, pour calmer les esprits, de diminuer le coefficient de cette épreuve en le divisant par deux.

Tous ces opposants sont-ils de bonne foi ? Rien n'est moins sûr. Si l'on peut comprendre le stress des lycéens, dont l'année a été perturbée par la crise sanitaire, certaines organisations, au lieu de s'interroger sur le bien-fondé de cette épreuve ou de s'inquiéter de la dévalorisation croissante du bac, semblent prendre un malin plaisir à voir le ministre dans le pétrin, espérant secrètement que la crise sanitaire enterrera sa réforme, et lui avec.

Après l'extension du contrôle continu, la suppression des épreuves de spécialité, imposées par les circonstances, il ne subsiste plus que la philosophie et le fameux « grand oral ». Si on le supprime, le ministre n'aura plus qu'à chanter « Que reste-t-il du baccalauréat ? » sur l'air de la chanson de Trenet. Son obtention n'a déjà pratiquement aucun rôle dans l'orientation vers des études supérieures, puisque, dans Parcoursup, les décisions d'affectation se font préalablement sur dossier. Il n'est plus qu'un symbole, un rite initiatique. Jusqu'à quand ?

Se battre pour la suppression ou le maintien du « grand oral » paraît, dans ces conditions, bien dérisoire. Pourquoi se battre pour du vent ? Pour sortir du pétrin, le ministre trouvera bien quelques accommodements : diminution du coefficient, simplification de l'épreuve, consignes de bienveillance – on évite le mot d'indulgence pour éviter le soupçon de laxisme. Il sauvera peut-être son portefeuille, pas le baccalauréat. Pourquoi s'inquiéter, puisqu'il est donné que plus de 90 % d'élèves le réussissent ? Mieux vaudrait s'inquiéter de ce que l'on fera après, avec ce diplôme dévalué, passeport pour nulle part.

Ce gouvernement prétend démocratiser l'école, ouvrir davantage les filières sélectives à la diversité sociale, commence à instaurer des quotas sous prétexte d'égalité, avec des places réservées aux concours pour certaines catégories sociales. Il se garde de préciser qu'en réduisant les exigences, il met le mérite au rebut. Les résultats sont là, qui révèlent l'imposture. On ne peut qu'approuver Natacha Polony, qui soulignait, lundi sur RTL, qu'on maintient « l’illusion d’une école républicaine qui donnerait leurs chances à tous ». Dans la réalité, seul un petit nombre arrivent à échapper à la médiocrité générale, les autres sont couchés de force dans le lit de Procuste.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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