Bac 2022 : « Ludique » un mot compliqué ? À quand une étude de texte de Tchoupi à la plage ?

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À chaque édition du bac sa petite polémique. Celle de cette année s’appelle « ludique ». « Bac 2022 : le mot “ludique” était-il trop compliqué pour des bacs pro ? » titre Le Figaro Étudiant. Le sujet de l'épreuve de français pour les bacs professionnels consistait à commenter l’extrait d’un livre de Leïla Slimani, Une Chanson douce, et le candidat devait répondre, en quarante lignes, à la question : « Le jeu est-il toujours ludique ? » Le mot a été jugé trop difficile. Nombre de candidats, sur les réseaux sociaux, expriment leur désolation, avec force gifs : ils ne connaissaient pas ce mot ! Quasiment du vieux françois !

« Un élève de 17 ans ne se sert pas de ce terme au quotidien, il parle plutôt de quelque chose de “fun” », commente un professeur de français en lycée professionnel hôtelier dans les colonnes du Figaro. Pour Jean-Paul Brighelli, interrogé par Sud Radio : « Dans un monde où on ne dit plus joueurs mais amers, le mot ludique appartient au passé. » (sic).

On se souvient qu’en 2014, on avait vu monter, dans les mêmes circonstances, un Léopoldine Bashing sur les réseaux sociaux. La douce, la gaie, la tendre Léopoldine Hugo, qui « courait dans la rosée, sans bruit », celle dont la disparition tragique inspira ses plus beaux vers à son père - « Demain dès l’aube à l’heure où blanchit la campagne, je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends » - avait été conspuée : « T’es conne Léopoldine », « Léopoldine cette grosse p… », etc.

Si Victor Hugo avait pu imaginer qu’un siècle et demi plus tard, son poème Crépuscule vaudrait à « sa fée », au « doux astre de [ses] yeux » d'être salie, il n’aurait, c’est certain, jamais commis ces vers. Ni, du reste, écrit le volume tout entier… dont le seul titre – Contemplations – ne peut-être que parfaitement étranger à des lycéens frustes, toujours dans le mouvement et le bruit.

À l’époque, le journaliste Michel Aphatie, à l’antenne de RTL, avait considéré ce déchaînement « amusant et révélateur ». Et, finalement, avait conclu : « Peut-être que les jeunes [avaient] raison […]< em>: en choisissant Victor Hugo au bac, l’Éducation nationale démontre d’elle-même un certain conservatisme. » Le conservatisme de l’Éducation nationale, ce fléau bien connu. Selon lui, on devait « pouvoir faire avec des textes beaucoup plus contemporains ». Il a été entendu. C’est donc Leila Slimani qui a été choisie. Puisque sont jugés hors de leur portée Victor Hugo et Madame de La Fayette - que Nicolas Sarkozy avait dite illisible pour « une guichetière », Aphatie et Sarkozy communiant finalement dans le même mépris de classe - les élèves de lycée pro ont donc eu Leïla Slimani. Comme il est d’usag, aujourd’hui, d’utiliser le mot « populaire » pour « immigré », sans doute, en choisissant le sujet, un prof de gauche a-t-il pieusement pensé que Leïla Slimani, parce que franco-marocaine, serait plus adaptée aux candidats de filière pro, réputés d’extraction « populaire ». Et tant pis si le prix Goncourt 2016 est en réalité une grande bourgeoise, comme l’a montré son candide et déconnecté Journal de Covid, écrit depuis une luxueuse maison de famille normande. Il est vrai que Leïla Slimani aime à se donner des allures de banlieusarde comme ces garçons des beaux quartiers dans les années 60 qui portaient ostensiblement des blousons noirs : elle n’aime rien tant que fustiger les « violences policières », elle vole au secours d'une étudiante voilée et dédramatise même à l’occasion l’islamisme.

Las, Leila Slimani ne convainc pas plus que Léopoldine Hugo ou la princesse de Clèves. Les élèves ne savent pas ce que veut dire « ludique ». Sans doute, la prochaine fois, faudra-t-il les faire commenter un extrait de Tchoupi à la plage. Pendant ce temps, Isabelle Rome, ministre délégué chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, pose tout sourire, sur Twitter, aux côtés de Pape Ndiaye, nouveau ministre de l’Éducation : « Échange constructif avec @PapNdiaye ce matin pour évoquer notre feuille de route commune. Les inégalités femmes-hommes ainsi que les stéréotypes racistes, antisémites et LGBTphobes s'enracinent dès le plus jeune âge. Nous sommes tous les deux déterminés à les combattre. » Pas sûr que dans tout ce beau programme, il reste une petite place pour les leçons de vocabulaire. Quelle importance, l’essentiel est que l’école reste ludique pour les élèves, c’est bien l'objectif de nos pédagogistes, épigones de Bourdieu, depuis des dizaines d’années.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 16/06/2022 à 21:19.
Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

7 commentaires

  1. On prétend lutter contre l’inégalité homme-femme et « en même temps » on tolère l’islam qui affirme que « les hommes sont supérieurs aux femmes » (coran 4-34).

  2. Et pourtant la vie de nos « djeuns » est de plus en plus « ludique », ne passent-ils pas plusieurs heures par jour (et par nuit) sur des écrans à jouer « en ligne »?

  3. C’est de baccalauréat ou du CAP dont on parle ?? Je me rappelle que je connaissais un père de famille ouvrier fraiseur toujours en bleu qui tenait un petit atelier ou il travaillait des pièces pour l’industrie aéronautique . C’était l’archétype du prolo et dans sa bibliothèque au milieu des romans noir et des San Antonio il y avait une collection impressionnante de prix d’excellence ! C’était dans les années 50 60 !! On respectait encore le travail manuel , et le reste était à l’encan !!

  4. de mieux en mieux ! il est vrai qu »un  » bac pro » ….. Apprentis à 14 ans , ils étaient plus dégourdis .Mais ce n’est plus le même  » public » ( la même peuplade ; enfin, un mélange , quoi ; personne n’ose faire le tri.;

  5. Nous aurons donc une génération qui saura lutter contre toutes les discriminations, même les plus improbables mais qui sera incapable d en écrire le terme. Ça promet.

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