À France Inter, on peut traiter les policiers de salauds ? Oui, parce que c’est de l’humour…

GUILLAUME MEURICE

« J’ai l’impression qu’on ne peut plus rien dire. » Pas faux. Pas vrai non plus : on peut quand même encore dire – et écrire - des trucs. Faut seulement faire attention. Très attention. Le second degré doit être manipulé comme de la nitroglycérine dans un camion de munitions lancé en pleine vitesse sur une route de montagne. Faut faire gaffe. Très gaffe. Faut surtout être dans le bon camion. Rouler à gauche alors que la circulation est à droite, on peut. En revanche, le contraire est périlleux.

Guillaume Meurice, le chroniqueur réputé comique de France Inter, est dans le bon camion. Il peut y aller franco, le pied sur le champignon. C’est ainsi que, récemment, il a pu donner toute la mesure de son humour grinçant dans une tribune sur ces commerçants et autres indépendants qui « chouinent » et sont bien contents de trouver l’État, aujourd’hui, avec la crise du Covid. Samedi 5 décembre, son persiflage a trouvé une nouvelle cible : la police, à l’occasion des manifestations. Tweet du petit comique : « #BonneManif #ACAB#AllCopsAreBisounours », avec pour illustration un Bisounours armé d’une matraque. Tous les policiers sont des Bisounours : faut peut-être pas pousser, mais bon, au premier abord, c’est mignon tout plein. Un petit clin d’œil, comme ça, en passant. Allez, on est presque dans l’esprit de Noël !

Sauf que l’abréviation « ACAB » veut dire tout autre chose : « All Cops Are Bastards » (« Tous les flics sont des salauds »). Le slogan vient des profondeurs des années 70. D’Angleterre et, plus précisément, du milieu skinheads. L’expression s’est répandue dans les rues et les stades. Elle fut un slogan anti-police durant les grèves des mineurs au Royaume-Uni sous Margaret Thatcher. Certes, ce n’est pas la première fois que l’acronyme est détourné. « All Clitoris Are Beautiful », « All Colours Are Beautiful » : on laissera au lecteur le soin de trouver à chaque slogan son propriétaire.

Donc, on n’est pas à un détournement près. Alors, pourquoi pas « AllCopsAreBisounours » ? C’est vrai, pourquoi pas ? Mais pourquoi ça ne passe pas ? C’est là qu’intervient la nitroglycérine. Si je dis « c’est bien connu, tous les policiers sont des Bisounours », c’est qu’en fait, je pense tout le contraire. Faisons-le savant : ça s’appelle une antiphrase. Dire une chose pour exprimer tout son contraire. « Faites votre joli métier », disait Nicolas Sarkozy à un journaliste : antiphrase. Dire que tous les policiers sont des Bisounours signifie donc tout le contraire. Et le contraire d’un Bisounours, c’est quoi ?

Alors, ça ne passe pas. Ça ne passe pas pour le syndicat policier Synergie-Officiers : « Est-ce que France Inter (radio de service public financée par le contribuable) cautionne cette abjection de bobo ? » en citant le tweet de Meurice avec l’illustration des policiers recevant un cocktail Molotov en flammes. Ça ne passe pas non plus pour Pascal Praud, sur CNews. « On a le droit de dire “Tous les policiers sont des bâtards” par quelqu’un qui est payé par nos impôts ! Mais c’est un scandale ! Un véritable scandale ! » Il demande le départ de Guillaume Meurice de France Inter. Réplique de Guillaume Meurice, lundi matin, à l’antenne de la radio publique : « J’ai pas encore démissionné, donc on va y aller… », lance-t-il, pour débuter sa chronique, du ton de celui qui semble avoir eu des assurances du côté de sa direction.

Dans un virage de sa chronique, autre pique : « … puisque le service public existe encore. Hein, ça va pas durer [c’est vrai, moins que les impôts qui le nourrissent], mais bon, pour l’instant, on est là, on tient le coup, on va finir le taf ». Phrase ô combien révélatrice. « Ça va pas durer » : là, pareil, autre antiphrase. Car il n’en croit sans doute pas un mot, sûr de sa charge inamovible. « On tient le coup » : comme s’il tenait une tranchée à Verdun ! « On va finir le taf », enfin. C’est quoi, ce taf ? Il reste à France Inter encore des institutions à dénigrer, à part France Inter ?

Georges Michel
Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

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