1959, la nuit de l’Observatoire : Épisode 2 – La déflagration Rivarol
Comment les affaires ont abîmé la France. Nous vous racontons, en 13 épisodes, l'une des affaires les plus marquantes du régime et son traitement médiatique, l'affaire de l'Observatoire, qui faillit bien coûter la carrière d'un politicien plein d'avenir, un certain François Mitterrand. Extrait d'Une histoire trouble de la Ve République, le poison des affaires, de Marc Baudriller, paru en 2015 aux Éditions Tallandier.
La presse a bien relevé le soutien de l’ancien ministre de la IVe République à l’indépendance de l’Algérie, mais elle n’a pas fait ses gros titres (Lire épisode 1). Car François Mitterrand souffre de l’ombre portée par le grand homme de la gauche, Pierre Mendès France. En septembre, le quotidien socialiste Le Populaire n’a pas mis une seule fois en une François Mitterrand… Cette fois, le sénateur de la Nièvre occupe tout l’espace. Pour les Français, le scénario est donc limpide, le coupable tout trouvé : c’est l’extrême droite. Les juges se lancent aussitôt à sa poursuite. On perquisitionne dans les milieux de l’Algérie française, les éditorialistes analysent sans frein. L’extrême droite va bien faire exploser une bombe, mais pas celle qu’on attendait.
Des chimères enfourchées au galop, aucune vérification, une lecture idéologique des faits, des hypothèses agitées sans points d’appui : la presse a pris des risques. La punition est à la hauteur de l’inconséquence médiatique.
Le 22 octobre, moins d'une semaine après la course-poursuite de l'ancien ministre dans Paris, un obscur journal de douze pages, Rivarol, jette un pavé dans la mare. L’hebdomadaire « d’opposition nationale » propose chaque semaine à ses lecteurs seize pages d’analyses politiques, de dessins, de chroniques culturelles, d’articles teintés d’un nationalisme roboratif, frontalement antigaullistes.
Pour ce numéro, Rivarol a bien fait les choses. Le titre barre un tiers de la page. Au-dessus du nom du journal, un « Exclusif » attire l’œil. L’accroche est explicite : « L’homme qui a tiré sur Mitterrand nous fait le récit complet de l’attentat bidon. » Rivarol triomphe, dans un style un peu pâteux, mais non sans quelques astuces empruntées à la presse satirique.
« Au moment de mettre sous presse nous parviennent des éléments d’information véritablement sensationnels, annonce Rivarol, qui font voler en éclats le prétendu complot dont l’ancien garde des Sceaux (des Sceaux… de haie, dirons-nous) affirmait avoir été victime. Maintenant, le voile est déchiré et Rivarol est en mesure de révéler au peuple de France l’une des machinations les plus monumentales et les plus scandaleuses qui aient jamais été montées. » L’hebdomadaire appelle bien sûr ses lecteurs à faire « la plus large diffusion » de ce numéro. « Il faut que le pays sache avec quel cynisme les nouveaux messieurs du système (IVe ou Ve du nom) se f… de lui. »
Ce préambule exposé, Rivarol donne une tout autre version de l’attentat auquel François Mitterrand vient d’échapper. Car, tandis que la police fouille les milieux de l’extrême droite, un ancien député du Loir-et-Cher, élu sur une liste RPF et qui « flirta », dit-il, avec Pierre Poujade, se dénonce lui-même. Il s’appelle Robert Pesquet et il raconte tout, dans un luxe inouï de détails, tous d’une précision diabolique. Là non plus, Rivarol n’a rien vérifié, n’a fait aucune enquête. De la même manière que les grands médias avaient écouté Mitterrand sans douter, Rivarol donne la parole à Pesquet sans la moindre distance. Et Pesquet raconte une histoire étonnante.
Il a conservé « quelques vagues rapports » avec François Mitterrand, sans cesser de le considérer comme « un adversaire politique » et « un homme dangereux », ce qui permet à Rivarol de souligner au passage la grande clairvoyance de l’ancien député… Le 7 octobre, une semaine avant l'attentat, Robert Pesquet a rencontré Mitterrand au palais de justice de Paris, sur l'île de la Cité. Ils ont parlé de choses et d’autres dans la galerie marchande, puis dans la cour d’honneur. Enfin, ils se sont attablés à la brasserie des Deux Palais où un certain Roland Dumas, député de la Haute-Vienne, a pris part à la conversation quelques instants. (À suivre...)
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