14-18 : la médecine grand vainqueur
Il y a cent ans, un des conflits militaires les plus dévastateurs ravageait l'Europe. Il arrive toutefois que le diable porte pierre et comme toute déflagration, la Grande Guerre fut pour les chercheurs et les scientifiques une occasion de se surpasser, d'autant que dans ces circonstances, les financements sont rarement contestés.
Sauf exception, on ne charge plus sabre au clair : l'heure est à l'artillerie lourde, au char d'assaut, au lance-flammes, et surtout à des armes individuelles dont les projectiles coniques et pivotants arrachent des parties du corps… Dans ces conditions, la vitesse d'enlèvement des blessés est un élément essentiel de leur survie, ce qui donnera au professeur Antonin Gosset l'idée de l'« autochir », un hôpital qui peut se déployer au plus près du front.
Une radiologie encore balbutiante permet un diagnostic plus précis des lésions, surtout osseuses. Alors Marie Curie aménage des limousines données ou prêtées en voitures radiologiques, qui seront appelées plus tard les « petites curies », et se rend elle-même sur le front faire des clichés. Parfois, les pertes sanguines pourront être compensées en urgence grâce à la transfusion, encore rudimentaire mais permise par la découverte du système ABO, qui précise les compatibilités entre donneurs et receveurs. Un médecin belge découvre, par ailleurs, que le citrate de soude empêche le sang de coaguler, ce qui autorise son transport vers le front. Hélas, il n'y a encore aucun moyen de réfrigération et la plupart des transfusions se feront de bras à bras.
Mais dans une guerre de tranchées, la partie la plus vulnérable, c'est la tête, et les chirurgiens vont être confrontés à des types de lésions cranio-faciales avec pertes de substance jamais vues jusqu'alors. Ce sera la naissance de la chirurgie réparatrice, mère de la chirurgie esthétique actuelle, pour laquelle Dufourmentel, Ginestet, Morestin (surnommé le père des gueules cassées) et quelques autres ont inventé des techniques et des instruments qui porteront leur nom, et sont encore utilisés quotidiennement dans les blocs opératoires. D'audacieuses techniques de greffes de peau, de cartilage et d'os voient le jour avec succès, et seront ensuite appliquées partout pour pallier les mutilations accidentelles ou celles de la chirurgie cancérologique.
Mais l'ennemi principal, c'est l'infection : au début de la guerre, les microbes des plaies – ajoutés à ceux des maladies dues à la promiscuité et au manque d'hygiène - tuent plus sûrement que les balles ennemies ! Heureusement, Alexis Carrel (prix Nobel 1912) vient d'inventer, avec le chimiste anglais Henry Drysdale Dakin, un antiseptique "miracle" (en fait, une eau de Javel améliorée…) auquel le dernier laissera son nom. L'irrigation des plaies par le Dakin évitera des milliers d'amputations, seule technique alors à même d'endiguer la gangrène gazeuse, et constitue probablement l'avancée médicale la plus bénéfique de cette guerre.
Enfin, certains rescapés développent de graves maladies mentales. Or, à l'époque, la plupart des psychiatres et neurologues considèrent ces pathologies comme d'origine purement organique, et il faudra du temps pour faire admettre qu'une émotion intense peut à elle seule les déclencher.
La psychiatrie aidera aussi les "gueules cassées" à s'accoutumer à leurs nouveaux visages, souvent horriblement modifiés malgré les efforts des chirurgiens. Puis les faire "admettre" à leurs familles et à leurs proches. Pour finalement les exposer aux yeux de tous dans la rue…
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