Qatargate – Les ambigüités de Marc Tarabella, député européen socialiste, en détention provisoire

parlement Strasbourg

Article mis à jour le 14 février.

Le Qatargate continue à faire tomber les hommes et les réputations, révélant une face de l'Europe que chacun devinait. Interpellé ce vendredi 10 février, l’eurodéputé belge Marc Tarabella a été inculpé et placé en détention provisoire le lendemain, dans l’enquête menée en Belgique sur des soupçons d’ingérence du Qatar et du Maroc au Parlement européen. L’élu socialiste de 59 ans est inculpé de « corruption », « blanchiment d’argent » et « participation à une organisation criminelle », a annoncé à l’AFP Éric van der Sijpt, porte-parole du parquet fédéral. Le parquet fédéral belge a en même temps lancé une série de perquisitions, notamment dans un coffre bancaire de Liège appartenant au député. L’ancien eurodéputé italien Pier Antonio Panzeri (2004-2019), suspect clé du dossier, qui bénéficie désormais du statut de repenti, a affirmé, peu après son interpellation en décembre dernier, avoir donné entre 120.000 et 140.000 euros en liquide en plusieurs fois à M. Tarabella pour son aide dans les dossiers liés au Qatar.

Jeudi 2 février, lorsque les députés ont voté la levée de son immunité parlementaire, Marc Tarabella s'en était réjoui : « Je répète que je suis innocent dans cette affaire », disait-il.

À ce jour, six personnalités, dont la Grecque Éva Kaïlí, sont inculpées pour « appartenance à une organisation criminelle », « blanchiment d'argent » et « corruption » après la découverte de « sacs de billets » dans l’appartement de Kaïlí. Au total, les enquêteurs belges ont mis la main sur 1,5 million d'euros en liquide. De quoi encourager, chez ces belles consciences, la lutte contre le fascisme.

S'il est dans le collimateur, c'est que le député socialiste Tarabella a pour le Qatar, qui n'est pas le pays le plus démocratique ni le plus social du monde, des faiblesses touchantes. Le 21 novembre 2022, dans un débat sur la situation des droits de l’homme dans l'émirat, dans le contexte de la Coupe du monde de football, Marc Tarabella déploie toute la mansuétude dont est capable un cœur de gauche : « Certes, évidemment, la situation n’est pas parfaite au Qatar aujourd’hui, loin de là, lance-t-il au Parlement européen. Beaucoup de progrès restent à faire, mais c’est quand même le pays qui s’est engagé sur la voie des réformes […] Donc aujourd’hui, le discours unilatéralement négatif m’apparaît préjudiciable à l’évolution des droits dans l’avenir au Qatar. Parce que ce qui est important, c’est que, quand les lumières de la Coupe du monde se seront éteintes, l’évolution positive continue non seulement au Qatar, mais qu’elle puisse faire tache d’huile dans tous les pays de la péninsule Arabique. » Une telle envolée valait bien le Nobel de la paix...

Sur Public Sénat, le 19 novembre 2022, le député s’élevait contre « la caricature » du Qatar déployée dans les médias, une caricature nuisible aux droits de l’homme ! Il fallait oser, ça passe. Rebelotte le 26 octobre, un mois plus tard : « Le Qatar a fait des efforts remarquables en matière de droit du travail », explique cet infatigable avocat, « même si tout n’est pas parfait », répète-t-il. Quel revirement ! Car Tarabella n'a pas toujours été si qatarophile. En 2015, il assurait qu’il « y avait plus d'ouvriers morts sur les chantiers au Qatar que de joueurs qui allaient jouer cette Coupe du Monde ». Un sacré « progrès », comme il dit. Si seul les imbéciles ne changent pas d'avis, le député est brillant.

D'autant que Tarabella peut, à l'occasion, être dur pour cette région du monde. Il s’est ému du sort d’Ahmed Mansour au Parlement européen, le 16 septembre 2021 : « Il purge une peine de dix ans de prison pour le crime d’avoir offensé le statut et le prestige des Émirats arabes unis et de ses symboles, y compris ses dirigeants, dans le cadre de son activisme pour les droits humains. » Alors ? Alors, justement, le Qatar ne fait pas partie des Émirats arabes unis… Un hasard, sans doute. Même tarif pour le Bahrein, le 11 mars 2021. Tarabella interroge encore sans faiblesse l’application des droits de l’homme dans cet émirat membre des Émirats arabes unis : « À la suite du soulèvement pacifique du peuple bahreïni, les autorités de ce pays ont mené une répression sévère contre les droits et les libertés de la population, en particulier les droits à manifester pacifiquement, à la liberté d’expression, à la liberté numérique. » Pas de cadeau au Bahrein, pas plus qu'à l’Arabie saoudite dont il fustige l’application de la peine de mort.

Seul le Qatar, parmi les émirats, bénéficie donc de l’indulgence du truculent député européen qui, à l'occasion, ne rigole pas avec l’argent sale. En 2020, Tarabella, accompagné d’autres députés, s’élève avec force contre la corruption. Dans une question à la Commission, avec demande de réponse écrite, il tape du poing sur la table. Trop, c’est trop. « La Commission a décidé de ne pas réglementer davantage le secteur des jeux de hasard, ce qui a un impact négatif pour les consommateurs, les exploitants et l’intégrité des compétitions sportives, attaquent Tarabella et plusieurs députés européens. Comment la Commission envisage-t-elle de préserver l’intégrité dans le sport ? »

Pourquoi se priver, puisqu’il a lui aussi intégré définitivement le camp du bien. « L’égalité des genres est une égalité des droits et d’accessibilité », explique-t-il. Il est le rapporteur de la commission sur le droit des femmes, une fonction où l’on ne risque ni son honneur, ni sa peau, ni sa fortune. Présumé innocent, bien sûr, Marc Tarabella clame aujourd’hui sa rectitude et assure qu’il n’a jamais reçu de cadeaux du Qatar. Une perquisition chez lui n’a pas découvert de sacs de billets comme chez la députée grecque. La suite de la procédure lèvera le voile sur ses pratiques. Il a, en attendant, été suspendu de son parti à titre conservatoire.

Grand professeur d’intégrité, donc, Marc Tarabella avait jusqu’ici mené une carrière tout en douceur et bonne conscience, de sa commune d’Anthisnes, dont il fut conseiller communal puis bourgmestre en 1994, jusqu’au faste du Parlement européen de Strasbourg. Ce Wallon sympathique, blagueur et cordial, licencié en sociologie à l’université de Liège, a évolué à l’ombre des bonnes consciences. Ainsi fut-il, entre 1988 et 1990, l’attaché de cabinet du ministre-président de la Région wallonne. Dix ans plus tard, il trouvait un poste au sein de l’exécutif du Parti socialiste belge qui gère les 31 communes assemblées dans la Fédération Huy-Waremme, un bastion champion du « socialisme au quotidien », comme on peut le lire sur le site de ladite fédération qui comprend sa commune d’Anthisnes.

Aujourd’hui, le PS de la Fédération Huy-Waremme affiche clairement ses priorités : des écoles et des transports publics gratuits, la dépénalisation du cannabis, une priorité et… la taxation des ultra-riches et des multinationales. Le nid du député belge PS fustige ainsi « la mobilité des capitaux » et l’absence d’harmonie fiscale en Europe. Deux soucis que les valises de billets de la députée Kaïlí devraient arranger. Désormais, l’ex-conseiller municipal a les bras longs. Entre ses deux mandats de député européen, Marc Tarabella devient ministre wallon de la Formation et ministre communautaire de l’Enseignement de promotion sociale et de jeunesse.

L’homme jouit d’une situation enviable. Selon sa déclaration de revenus datée de juin 2019 et publiée sur le site du Parlement européen, Tarabella cumule à son indemnité de parlementaire européen supérieure à 9.000 euros plus de 1.000 euros d’émoluments pour ses fonctions de bourgmestre auxquels s’ajoutent 20.000 euros généreusement alloués, cette année-là, par le Parti socialiste belge au titre de ses fonctions dans la campagne électorale de 2019. De quoi motiver la défense des petites gens. Et des émirs du pétrole.

Cette affaire est décidément révélatrice de ce qui se passe dans les coulisses de l’Union européenne, des pratiques réelles de ceux qui font la morale. C’est un dossier emblématique, majeur, qui marquera l’Histoire. Marc Tarabella reste bien-sûr présumé innocent jusqu'à ce que la Justice se prononce sur son cas.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 14/02/2023 à 12:40.
Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

8 commentaires

  1. Et dire que ce n’est que la partie émergée de l' »iceberg-européo-mafioso » !
    Quand « on » décidera de se pencher sur le cas Von der Leyen, et de son mari, c’est un océan de malversations qui engloutira la dite Ursula et le Parlement Européen…
    J’attends ça avec une impatience non dissimulée !

  2. L’UE est corrompue depuis des décades, probablement depuis sa création. Vers la fin des années 70′, un ami à moi débutait dans la vie en tant que jeune représentant de commerce pour une grande société de mobilier de bureau, dont les bureaux se trouvaient (et se trouvent peut-être toujours), à queoques centaines de mètres de la Commission Européenne.
    Ces premières semaines ont consisté à accompagner son patron dans la tournée des clients les plus importants.
    Un des clients les plus importants de la société était précisément la Commission, et ils allèrent voir un de leurs acheteurs principaux, dont je tairai le nom, même si le personnage doit être mort depuis longtemps. Et donc, ils entrent dans le somptueux bureau de Mr Van G…, un homme approchant déjà la soixantaine, montrant un embonpoint classique, et des cheveux un peu jaunasses. Tout se passe bien, dans une courtoisie polie, le patron présente son jeune délégué, puis nos deux hommes quittent le bâtiment prestigieux. Dans la voiture, sur la route du retour au bureau, le patron explique qu’à chaque fois que la Commission commande du mobilier de bureau (et il y en a des bureaux, à la Commission!) ou du matériel, 10% du montant de la commande sont reversés sur un compte privé appartenant au Sieur Van G. Et cela se passe il y a 45 ans. La corruption chez les membres de l’UE est aussi ancienne que cette institution. A mon avis, elle est trop ancienne et trop profonde que pour l’éradiquer.
    Je ne vois qu’une solution: dissoudre l’UE, ou simplement la quitter.

  3. Même si je n’aime pas les socialistes, cet usage de priver des députés de leur immunité parlementaire pour délit d’opinion est insupportable et s’assimile à un acte dictatorial

  4. Quelle est la part de la dette européenne, et française, qui est financée par les riches du Qatar? Cela justifie toutes les indulgences. De plus, cela fit un bail que les ambassades du Qatar tiennent guichet ouvert pour les politiques dans le besoin…ON ne crache pas sur la main qui vous nourrit.

  5. N’y a t il que le Qatar qui arrose nos politiques ? Lorsqu’on voit toutes les lois votées au profit des délinquants, ont peut se poser la question.

  6. Je pense qu’ils ne sont pas les seuls à être corrompus, je souhaiterais qu’on contrôle tous ces élus à commencer par la van der Leyen !

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