La toute-puissance de l’opinion
Il y a quelques jours de cela, les rues étaient encore pleines de vacanciers, les employés de la mairie redoublaient d'efforts pour mettre la ville à neuf, j'ai été abordé dans une rue passante par deux jeunes filles qui effectuaient une enquête pour un organisme dont j'ai oublié le nom. Ne sachant pas de quoi il retournait, et agacé des sollicitations permanentes en cette saison (téléphoniques, épistolaires ou verbales), j'ai lâché négligemment que je n'avais pas d'opinion sur la question, avec un geste de la main comme pour se débarrasser d'un importun. Elles se sont alors tournées l'une vers l'autre, abasourdies et sarcastiques : je ne sais pas ce que j'aurais pu leur dire pour les consterner plus. J'aurais pu me réclamer de Bakounine qu'elles n'auraient pas tiqué, mais là, pour peu, elles se seraient franchement gaussées de moi.
À vrai dire, je ne me sens pas tenu d'avoir un avis sur tous les sujets, ni ne me crois des conceptions particulièrement éclairées dans tous les champs de l'esprit. Mon plombier, je le laisse faire, et j'entends bien qu'en certaines matières plus philosophiques il fasse de même. Avez-vous remarqué comme, de nos jours, chacun se mêle de tout, les acteurs chantent, les banquiers font de la politique... C'est le règne du dilettante, du touche-à-tout doté d'une formation Assimil qui juge d'un ton sans réplique. Que connaît-on de plus insupportable que ces gens qui se mêlent de tout savoir, de cette susceptibilité moderne de celui qui ne veut jamais s'effacer devant plus qualifié que lui. C'est le vice d'une société où il suffit d'un clic pour faire l'érudit, et où l'on croit, très jeune, avoir tout vu quand on n'a pas un gramme de la profondeur que donnait à nos pères la vie inconfortable des années 50.
D'où l'omniprésence des sondages : Macron monte, Macron descend, et tout le monde de suivre les courbes avec ébahissement. Le sondage, c'est la pensée-magazine, à courte vue, le prêt-à-penser qui se base sur une vague impression non sur une analyse. Que les journalistes leur apportent une si grande attention est aberrant. Il n'y a qu'à voir leur rôle dans la dernière élection, la manière dont ils présélectionnent les candidats, en disqualifient certains et en adoubent d'autres. C'est un des vices du système démocratique, un de ses dysfonctionnements ou, du moins, une de ses perversions possibles : donner aux citoyens l'illusion qu'ils peuvent être pertinents dans tous les domaines. Les politiciens le savent bien, qui nous concèdent la liberté d'un choix fallacieux sur des sujets en trompe-l'œil.
Avec l'hégémonie des médias qui formatent la pensée, prémâchent les infos, nous sommes arrivés dans un monde où l'opinion est toute-puissante, le royaume de la formule bébête qui prime sur les idées suivies.
Le royaume du communicant Macron.
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