Sweet nostalgie à l’Élysée : retour macronien sur les années Pom-pom-pidou…

Notre époque – notre société, devrais-je dire – se croit subversive, audacieuse, d’avant-garde… Faux. Elle est peureuse, ratatinée, angoissée, pleurnicharde, en demande constante de protection de la part d’un État qui ne se sent pas mieux.

Les gens qui ont connu la guerre sont devenus rares, a fortiori ceux qui en ont vécu deux. J’ai l’âge de les avoir connus, ces gens qui ont vécu la guerre, et je sais ce qu’ils diraient aujourd’hui : nous sommes trop gâtés par la vie et nous ne le savons pas.

Les sociétés de l’opulence sont déprimées. Il faut tirer la langue pour être entreprenant, avoir aux fesses la nécessité pour se bouger. Pour résumer : l’assistanat m’a tuer.

C’est ce qui saute aux yeux lorsqu’on regarde quelques décennies en arrière, vers les années Pompidou, par exemple. C’est ce qu’a fait, mercredi, notre Président Macron en recevant, à l’Élysée, les participants à un colloque consacré à l’ancien président de la République.

« Je ne pouvais pas laisser sans rendez-vous cette occasion », dit le jeune Macron, et pour une fois on le comprend bien : l’homme de Montboudif, l’auteur du Nœud gordien, le normalien agrégé de lettres et devenu banquier, est une référence qu’il ne peut pas renier.

Il faut regarder les épouses, celles qu’on appelle aujourd’hui les « premières dames », histoire toujours de singer les Américains, pour comprendre ce que fut la révolution Pompidou à l’Élysée. L’une en épouse (officiellement) effacée, rondeurs et tenues sombres dans l’ombre de son grand homme ; l’autre subversive, portant pantalons (un scandale à l’époque), fer de lance de l’esthétique des seventies. Il faut aussi regarder la couverture du dernier livre de Georges Pompidou pour mesurer la frilosité maladive qui nous a saisis : penché sur sa feuille, le Président tire sur sa clope, coincée entre le pouce et le majeur.

Alors oui, Emmanuel Macron dit vrai lorsqu’il souligne combien Georges Pompidou « pensait à la fois vieille France et nouvelle France », se posant en passeur entre ces deux mondes qui s’étaient heurtés en 68. L’accouchement dans la douleur d’une modernité qui ne se révélerait pas toujours heureuse, mais l’élan vital d’une société qui rêvait d’entreprendre et croyait en ses capacités.

C’était le temps des projets, « du formica et du ciné », comme chantait Jean Ferrat. Dans la foulée de Mai 68, la France prend 5 à 6 % de croissance par an. Elle invente le SMIC (1970), décide la construction du TGV, se marie pour Airbus… Pompidou aime la voiture comme il aime les clopes ; il est prêt, pour elle, à défoncer ce Paris qu’on éventre déjà pour y construire le Forum des Halles. À côté sortira de terre « la raffinerie », nom donné au centre d’art contemporain qui porte aujourd’hui son nom.

Le couple Pompidou était fou de design, au point de révolutionner le décor du palais de l’Élysée, qui devient une vitrine des seventies psychédéliques… Salle à manger de plastique blanc signée Pierre Paulin, salon orné de toiles de Kupka et Delaunay, antichambre au décor à effet cinétique de rayures colorées signé Yaacov Agam… Avec sa salle des fêtes gris perle et sa vaisselle bleu Élysée, le Président Macron joue petit bras…

C’est fou, je le redis, comme nous sommes devenus sages. Tristes. Peureux. « Castrés ,» en quelque sorte. Qui, aujourd’hui, nous offre des projets, qui nous fait rêver ?

La France qui, en 68, est descendue dans les rues pour les dépaver se révoltait contre « un pays de vieux ». Paradoxe : c’est cette France-là, parvenue aux affaires, qui a fait de nous tous des désespérés frileux, sans tabac, sans alcool, qui mangent cinq fruits et légumes par jour, ne sortent pas quand il pleut ni quand il fait du vent, roulent en trottinette et carburent au quinoa et au Prozac™…

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Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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