Le Président actuel est arrivé au bon moment, durant une embellie économique. Il n'est pas sûr du tout qu'elle se poursuive. C'est ce qui justifie la frénésie de réformes, car le temps est compté, mais c'est aussi ce qui explique qu'elles sont faites en trompe-l'œil, avec une marche arrière toujours prête à être enclenchée.

L'annonce de la réforme de la SNCF en est une illustration. La situation de la SNCF est, hélas, très représentative de celle de notre pays, dont elle condense les contradictions et les impasses. La France, cette apparente démocratie libérale, est une URSS qui n'a pas réussi, contrairement à ce que disait Jacques Lesourne, mais qui a tenu plus longtemps, avec une dépense publique et un secteur public démesurés, une pression fiscale décourageante, des métastases de déficits un peu partout, comme les 46,6 milliards cumulés que la SNCF, qui se dit bénéficiaire en 2017, a mis sous le tapis de SNCF Réseau. Le tout : une dette exorbitante qui bénéficie de taux d'intérêt qui ne sont pas éternels ! Le résultat en est, bien sûr, une perte de compétitivité qui accentue le processus de déclin.

Le socialisme dominant, dans les années 1930, et, plus encore, le communisme au lendemain de l'Occupation, ont sécrété une idéologie française qui a sévi chaque fois que la gauche était au pouvoir pour que la France fasse le contraire de ce qui se faisait ailleurs avec succès. Cette pensée dominante n'emploie le mot "service public" qu'avec le respect que mérite un tabou. Avec un total mépris pour l'égalité, une autre expression sacrée - les "avantages acquis" - sanctuarise des privilèges anachroniques. C'est ainsi que les cheminots, qui sont très loin de connaître les conditions de vie décrites par Zola dans La Bête humaine, bénéficient de multiples avantages qui découlent de leur statut. Que le prétendu "service public" génère de l'inégalité sans réelle contrepartie puisque la grève y est permise, compromettant la continuité qu'il suppose pour satisfaire des intérêts catégoriels, est une montagne d'illogisme et d'injustice malheureusement typique de notre pays.

Au-delà de cette injustice sociale, il y en a une autre, politique. Lorsque les cheminots font grève, ils paralysent le pays et exercent à l'égard du pouvoir un rapport de force, un chantage, qui est une atteinte à la démocratie. Les défenseurs du "statut" prétendent qu'il garantit l'indépendance des salariés à l'égard du pouvoir politique, comme si, dans une démocratie véritable, celui-ci n'était pas détenteur de la légitimité. En fait, on aboutit au résultat inverse. Les détenteurs de statuts sont plus syndiqués que les autres salariés, et comme les syndicats français, divisés et peu représentatifs, sont très politisés, ils peuvent sans vergogne lancer des grèves politiques et empêcher un pouvoir élu de faire ce qu'il a mandat de faire.

Aujourd'hui, l'image de la SNCF s'est dégradée. Les privilèges sont mieux connus et moins appréciés. La grève paraîtra les défendre en gênant tout le monde. De plus, le gouvernement ne remet pas en cause le statut pour ses titulaires, mais seulement pour les nouvelles recrues. Pour les retraites, cela n'aura d'effet que dans une trentaine d'années. On voit mal comment les cheminots d'aujourd'hui s'acharneraient à perdre un mois de salaire alors qu'ils ne sont pas touchés. Et on voit, par là même, que le pouvoir a reculé avant de sauter. Sous l'apparence d'une avalanche de réformes, la France demeure un pays où la démocratie fonctionne mal. Dans une vraie démocratie, au lieu du bras de fer entre le chantage du gouvernement qui consiste à court-circuiter le Parlement par ordonnances et le chantage à la grève des syndicats, on aurait demandé depuis longtemps au peuple de trancher ce nœud gordien, par référendum.

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01 mars 2018 à 18:25

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