Rupture AfD-RN, l’occasion d’un vaste parti de droite nationale à Strasbourg

© Jordan Florentin
© Jordan Florentin

Le divorce entre le RN et le parti de droite allemand AfD (pour Alternative für Deutschland), officialisé dans un bel ensemble par Jordan Bardella et Marine Le Pen, ouvre le champ à une vaste réorganisation au sein du Parlement européen, à moins de trois semaines du scrutin. « Le RN aura de nouveaux alliés à l’issue des élections européennes, mais ne siègera plus aux côtés de l’AfD », a tranché le président du parti Jordan Bardella. « Les groupes seront remis à zéro à l'issue du scrutin et je souhaite que le RN puisse amener à Bruxelles et à Strasbourg la plus grosse délégation de parlementaires pour peser sur les décisions en France comme à Bruxelles », poursuit-il. Le temps des grandes manœuvres commence et il n’est pas exclu qu’il apporte quelque surprise.

D’abord, retour sur la rupture. Le RN, aux portes du pouvoir en France, est logiquement sensible à ce qui peut nuire à son image : avec l’incontrôlable parti allemand, le torchon brûlait depuis plusieurs semaines. Les fantaisies de la tête de liste de l’AfD aux européennes, Maximilian Krah, ont emporté la décision : « Je ne dirai jamais que quiconque portait un uniforme SS était authentiquement un criminel […] Il faut évaluer la culpabilité au cas par cas », a expliqué Krah au quotidien italien la Repubblica, ce 18 mai. Le genre de sorties, dénué de tout intérêt politique immédiat, sur lesquelles la gauche bondit depuis plus de trente ans pour retendre le cordon sanitaire.

L’exclusion de l’AfD rebat les cartes

Marine Le Pen l’avait dit à plusieurs reprises : l’AfD n’est pas « tenue », rien à voir avec la discipline interne qui fait une partie du succès du RN français à l’Assemblée et sur les plateaux. Le parti allemand fonctionne de manière très transparente : les adhérents désignent par leur vote les candidats. Ils ont sélectionné Maximilian Krah pour conduire la bataille des européennes. Mais ce système mine toute autorité interne. Qu’il en éjecte l’AfD ou qu’il claque la porte du groupe européen ID [Identité et Démocratie, NDLR], le RN remet donc en question les contours et l’existence même de son groupe ID, aujourd’hui fort de 61 députés européens, sur 705 au total, à Strasbourg. ID est le sixième parti européen. Dans son giron, 25 élus italiens, 18 RN (ils étaient 23, en 2019, avant les départs successifs vers le parti d’Éric Zemmour, notamment) et 9 AfD, pour les principaux pays. Tout cet édifice vacille d’un coup…

Contacté par BV, le patron de la délégation RN au Parlement européen, Jean-Paul Garraud, qui travaille depuis longtemps à élargir le cercle étroit d’ID, ne souhaite pas s’exprimer. De fait, l’exclusion de l’AfD rebat les cartes, en France et en Europe. En France, Marion Maréchal, la candidate Reconquête, explique depuis le début de la campagne que l’isolement du RN et d'ID en Europe les condamne à être inutiles. Reconquête a, en effet, rejoint un ensemble un peu plus large de 68 élus issus de seize pays affiliés au groupe ECR (Conservateurs et Réformistes européens), Outre Reconquête (un élu, Nicolas Bay), ECR compte notamment le parti polonais Droit et Justice [PiS, NDLR] fondé par les fameux jumeaux Jarosław et Lech Kaczyński (25 élus) ou le parti Frères d’Italie de Giorgia Meloni (8 élus). Auprès d’ECR et de nombreux eurodéputés de droite, l’AfD faisait figure d’épouvantail. Comme, parfois, le RN...


La droite nationale en force à Strasbourg ?

Jouer la carte de l’union des droites nationales dans le cadre de cette effrayante tour de Babel du Parlement européen n’a donc rien d’une sinécure. Le système lui-même est conçu pour empoisonner toute alliance entre des élus d’abord soucieux de leur nation : structurellement, ils s’opposeront sur certains points davantage que les européistes peu soucieux de l'intérêt national.

Le « momentum » est pourtant historique. Les droites européennes peuvent rêver d’un grand parti « patriote et conservateur », comme le dit Louis Aliot, le maire RN de Perpignan. S'il réussit à combler les désaccords, ce nouveau parti européen pourrait unir la branche la plus radicale du très centriste PPE (Parti populaire européen, 176 députés aujourd’hui) avec l’essentiel des groupes ECR et ID, ainsi que les douze députés européens hongrois du Fidesz, ex-PPE aujourd'hui non-inscrits. Soit quelque 150 eurodéputés au total, l’équivalent des socialistes européens de S&D (154 eurodéputés actuellement) et du centriste PPE coupé de sa branche plus ferme.

Dans cette hypothèse, ces trois partis européens joueraient à armes égales. Les nationaux, portés par une forte dynamique dans plusieurs pays, pourraient même rêver de décrocher la première place. Toutes les droites patriotes d'Europe y ont intérêt, pour libérer les nations du joug européen et renverser l'effrayante politique migratoire de l'UE. Le feront-elles ? C’est ce qui se joue en coulisses, à quelques jours du 9 juin. Et ce qui occupera jour et nuit les états-majors, une fois le nombre des élus connus pour chaque camp à compter du 9 juin au soir. L’Europe peut basculer au service des nations, enfin !

Photo : Marine Le Pen et Jean-Paul Garraud

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

67 commentaires

  1. J’espère que l’AFD a été exclue pour d’autres raisons que les propos de ce KRAH, où il y avait aussi un peu d’humanité et de bon sens. Beaucoup d’Allemands n’ont pas eu le choix comme dans toute guerre? Certains Alsaciens se sont même battus dans le camp adverse, même M SCHUMANN initiateur de l’Europe était allemand. Quant aux Nazi intégrés à tous les niveaux de nos institutions, ce ne sont pas les livres qui manquent pour les nommer. Car l’AFD, c’était déjà un parti de droite puissant et solide en Allemagne. Rappelez nous, gens du RN donneurs de leçons, comment vous soutenez – vous- les banderistes en Ukraine?

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