Démonter Napoléon, le maire de Rouen en rêvait. Le socialiste Nicolas Mayer-Rossignol, entouré d’une bande d’amateurs du monde associatif, baigne dans l’inclusif, se gargarise d’égalité entre les femmes et les hommes, lutte contre toutes les discriminations. Il veut mettre en avant la place des femmes dans l’Histoire mais, à quelques pas de l’abbatiale Saint-Ouen où s’est joué le dernier acte du procès de Jeanne d’Arc, rêve d’une quelconque Gisèle Halimi. Là où, depuis 1865, l’Empereur à cheval tourne le dos à l’hôtel de ville et porte son regard vers l’ouest, vers la mer et les côtes anglaises, l’édile voulait une statue de femme de notre époque. Autant dire une femme de gauche, portant haut l’étendard d’un monde trop tôt vieilli. Une femme racisée? de préférence, engagée dans ces causes qu’on peut embrasser sans crainte de procès. Une femme dégagée de tous les déterminismes sociaux, familiaux ou religieux. Une femme comme les aime la jeune génération « anti-phobes ».

À l’hôtel de ville, dans les réunions de quartier, sur les ondes de France Bleu, à longueur de colonnes de Paris-Normandie, les adjointes à l’égalité, à la lutte contre je ne sais quoi encore, les féministes de service et les surveillantes de la nouvelle morale criaient déjà victoire. Cette infâme statue devait céder sa place. Au lieu d’un dictateur misogyne, esclavagiste et sanguinaire se dresserait désormais son antithèse, la femme libératrice. Pas Jeanne, oh non ! Cette chrétienne traitée d’hystérique par les beaux esprits, cette martyre sans sépulcre et sans tombeau un peu dédaignée pour ses vertus guerrières, cette pucelle exaltée n’aurait pas les honneurs de la ville.

L’Empereur, cependant, résistait. Attaqué de toutes parts, entouré d’insignifiance, submergé sous le nombre, il ne cédait pas. Insensible aux flots d’ignorance, connaissant son Histoire, dédaigneux des vilenies dont on l’accable, il se croyait oublié des Rouennais. Relégué au fond d’un atelier de restauration, il attendait son heure. Cette statue équestre que les Normands ne voyaient plus, tant ils semblaient la connaître par cœur, leur a soudain manqué. Lorsque son absence a révélé la froideur minérale d’une place vide, quand sa grandeur un peu pompeuse n’a plus attiré les regards au carrefour, les habitants l’ont regrettée. À sa place, ils ne voyaient que les cohortes d’autobus aux fumées nauséabondes et les jeunes à casquettes juchés sur leurs skates. Au lieu de leur gloire nationale, ils contemplaient la médiocrité contemporaine. Pour être centristes, les Rouennais n’en ont pas moins, au fond d’eux, la mémoire de nos grandes heures.

De pétitions en interpellations, de discussions orageuses en débats animés, la municipalité a commis une faute de débutante. Ce référendum que nos gouvernants refusent, la ville l’a accordé. Prudente, elle y a mis des conditions telles que nombre d’habitants ont renoncé à y participer. Et, au milieu de questions insipides, les Rouennais ont été invités à se prononcer sur le retour de l’Empereur, après restauration, place de l’hôtel de ville.

À 68 %, ils ont plébiscité Napoléon.

Mayer-Rossignol, honteux et confus, jura mais un peu tard qu’on ne l’y prendrait plus. Les mauvaises langues disent qu’il a mangé son chapeau. Les autres se réjouissent du triomphe du bon sens. Quant à Gisèle Halimi, elle s’installera ailleurs.

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14 décembre 2021 à 23:02

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