« Je vous défends de parler de notre parti comme ça, nous ne sommes pas d’extrême droite, vous le savez. » Dans l’Hémicycle et couvrant les broncas de ses collègues de gauche, la députée RN du Var Laure Lavalette a acté une réalité. « Depuis le 19 juin, tout a changé », a-t-elle continué, évoquant évidemment l’élection de 89 députés RN à l’Assemblée nationale. Dédiabolisation. Normalisation. Fréquentabilité. Ces mots suivent le Rassemblement national depuis l’élection présidentielle de 2017. Comme un moyen de conjurer les vieux démons, d’en finir avec les provocations et les procès. Mais, surtout, de sortir d’un piège politique, idéologique et sémantique. « En Sciences politiques, le qualificatif d’extrême droite est parfaitement neutre », note le politologue Guillaume Bernard. « Il n’y a qu’en France que ce qualificatif est source de diabolisation. »


Pourtant, les opposants au RN ne se privent pas d'exhumer les vieux dossiers. « Le RN choisit de fêter ses 50 ans. Il nous donne ainsi l’occasion de rappeler, derrière le ravalement de façade, l’arrière-cuisine peu ragoûtante. Le parti fut fondé par Pierre Bousquet, ancien membre de la Waffen-SS, et par Jean-Marie Le Pen, membre de l’OAS », affirme, sur Twitter, la députée NUPES Sarah Legrain.

« Il y a 50 ans. P. Bousquet, ancien Waffen SS déposait les statuts du FN », réagissait, de son côté, sa collègue Marianne Maximi. Pour autant, Pierre Bousquet s’est très vite opposé violemment à Jean-Marie Le Pen et a rapidement quitté l’embarcation pas encore devenue paquebot. « C’est une attaque classique, analyse Guillaume Bernard. Les collabos et les résistants se retrouvent dans tous les partis. N’oublions pas que François Mitterrand est toujours resté fidèle à René Bousquet et que Maurice Papon était un éminent gaulliste. »

Facho ?

Mais d’où vient ce lien entre collaboration et FN ? En grande partie de la gauche qui, après sa prise de pouvoir intellectuelle et culturelle dans le sillage de Mai 68, s’est aussi emparée du champ lexical. « Alors que le gouvernement s'appuie sur le RN pour nous imposer sa politique, nous continuerons de combattre partout le parti des fachos », affirme le jeune député d’extrême gauche Louis Boyard. Facho ?

Entre 1947 et 1956, la gauche considérait le RPF du général de Gaulle comme un parti fasciste et largement d’extrême droite. Une affiche du PCF traitait d’ailleurs directement le fondateur de la Ve République de fasciste.

Pour autant, la gauche a-t-elle été la seule responsable de cette diabolisation ? « Elle est surtout née d’un divorce profond à droite », analyse Guillaume Bernard. Ce divorce, pour ne pas dire cette fracture, est né aux lendemains de la guerre d’Algérie. Après l’unanimité de la droite nationale derrière le retour du général de Gaulle, il y a eu le divorce sanglant lié à l’abandon de l’Algérie française par le général de Gaulle, quelques mois après avoir promis le contraire. Au fond, l’antigaullisme est né en 1962. « Cela arrangeait la droite gaulliste de faire croire que l’antigaullisme est lié au pétainisme », abonde Guillaume Bernard. Mais cette fracture algérienne appartient aujourd’hui au passé. La diabolisation est donc passée, certes, en partie grâce à la stratégie mise en place par Marine Le Pen, mais plus simplement grâce aux circonstances politiques. Ainsi, force est de constater que le programme actuel du RN est à peu de choses près celui du RPR.

L’antigaullisme n’a politiquement plus lieu d’être. Le gaullisme est aujourd’hui réduit à une simple ligne souverainiste. Le ralliement des gaullistes de l’Avenir français, à la base issus des rangs de Nicolas Dupont-Aignan (plusieurs d’entre eux sont aujourd’hui députés RN), et celui de la droite populaire de Thierry Mariani et Jean-Paul Garraud au RN n’ont fait qu’accélérer un processus inévitable. Au fond, « il n’ y a plus de fracture idéologique profonde entre la droite et le RN », analyse Guillaume Bernard.

Dans la réalité

L’historien Michel Winock, auquel on doit un travail de longue haleine sur l’extrême droite et qu’on ne peut qualifier, c’est le moins que l’on puisse dire, de proche de cette mouvance, a identifié neuf caractéristiques qualifiant un discours d’extrême droite : la haine du présent, l’anti-individualisme, l’apologie des sociétés élitaires, la nostalgie du sacré, la peur du métissage et de l’effondrement démographique, la censure des mœurs, l’anti-intellectualisme, la nostalgie d’un âge d’or. Factuellement, aucune de ces caractéristiques ne représente le RN de Marine Le Pen.

Si le RN de Marine Le Pen a acté la fin du FN de 1972 pour devenir autre, si ce qui définit un discours d’extrême droite ne se retrouve pas dans la bouche de Marine Le Pen, force est de constater que ces vocables, ces anathèmes n’existent que dans la bouche de la NUPES. Dans la majorité présidentielle on l’a bien compris, et les diatribes enflammées de l’eurodéputé historique de la Macronie Stéphane Séjourné, dénonçant en tribune les supposées accointances russes du parti de Marine Le Pen, le prouvent. La Macronie a changé d’angle d’attaque en dénonçant le RN comme un parti de l’étranger. Entre cela et Gérald Darmanin qui accuse Marine Le Pen d’être trop molle, on va finir par se demander si l’extrême centre n’est pas la nouvelle extrême droite.

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06 octobre 2022 à 21:00

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45 commentaires

  1. La Nupes est  »woke » et donc cherche à réinterpréter les évènements et personnages de notre histoire nationale essayant de coller des étiquettes dépassées aux adhérents du RN ou autres. Elle refait des batailles perdues et démontre sa déconnection de la réalité politique d’aujourd’hui.

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