Rentrée littéraire : de Moix à Buisson, il est tellement de bon ton de balancer son père !

La rentrée littéraire est placée sous le signe du règlement de comptes. Balance ton père. Après Yann Moix qui, dans Orléans, accuse son géniteur d’avoir été pour lui un tortionnaire, voici Georges Buisson qui publie chez Grasset (s’il vous plaît !) un livre consacré à ses « relations compliquées avec son père », intitulé L’Ennemi. Ça a le mérite d’être clair.

Flinguer ses parents, et en particulier tuer le père, est, en littérature, l’atout gagnant à tous les coups. On se souvient qu’en 2014, c’est en accablant ses parents, modeste famille du Nord, qu’Édouard Louis s’était fait connaître. Son roman autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule avait remporté, en mars 2014, le prix Pierre Guénin contre l’homophobie, qui doit valoir prix Goncourt, puisqu’il est désormais étudié dans les lycées au même titre que Zola ou Victor Hugo… en 1re, par exemple, dans le prestigieux lycée Hoche de Versailles.

Peu importe que ladite famille se soit déclarée, dans Le Courrier picard, « blessée » et même « inconsolable » de cet étalage. Tant pis si ce bouquin sent à plein nez le mépris de classe. Seules comptent les souffrances d’Édouard Louis, celles des autres sont quantité négligeable.

Las, n’est pas Hervé Bazin ni Jules Renard qui veut, et la ficelle devient un peu grosse : comme par hasard, le Folcoche en caleçon, le Dark Vador qui écrase son gentil fiston, est toujours coupable de l’un ou l’autre de ces péchés que la morale politiquement correcte réprouve.

Le père de Yann Moix usait de châtiments corporels, la famille d’Eddy Bellegueule est raciste et homophobe, quant au père de Georges Buisson… il est ce qu’il est.

Je ne connais pas personnellement Patrick Buisson, ne sais rien des dissensions qui l’opposent à son fils, et c’est mieux ainsi, car cela ne me regarde pas… pas plus, du reste, que cela ne regarde les auditeurs de Léa Salamé. Peut-être a-t-il tous les défauts que lui prête son fils, peut-être ne les a-t-il pas, la rancune d’un enfant pour un parent célèbre - qu’il soit acteur, politique, musicien ou écrivain - se nourrissant parfois inconsciemment d’une terrible injustice, infligée, cette fois, par la nature et les mystères de la biologie : il n’y a pas de gène moins récessif, de caractère moins héréditaire que celui du génie. Puis, soyons honnête, sans doute Patrick Buisson a-t-il surtout un gros défaut, pire que tous les autres réunis, et qui se trouve résumé dans cette phrase : « Depuis 50 ans, mon père est de toutes les aventures d’extrême droite. »

Les uns et les autres ont peut-être eu une enfance malheureuse, je ne peux pas en juger et ne veux dédouaner personne. Mais le vieil adage préconisant de « laver son linge sale en famille » avait ses vertus. Faire de ses règlements de comptes un fonds de commerce finit par agacer le lecteur. On notera, d’ailleurs, que - Freud oblige ? - les torts sont toujours du même côté, comme si, dans notre société binaire, un enfant, victime par nature, ne pouvait pas faire souffrir ses parents.

Quand j’étais étudiante, je connaissais un garçon auquel les parents, intellectuels germanopratins signant de temps à autre un papier éthéré dans une revue internationale éclairée, avaient coupé les vivres le jour où il s’était présenté sur une liste du Front national. J’ai croisé également une jeune fille que sa mère, prof de gauche, a refusé de voir pendant des mois parce qu’elle avait émis le souhait de rentrer au couvent. M’est avis que si ces deux-là avaient l’idée saugrenue d’en faire un bouquin, ils ne seraient pas invités par Léa Salamé. En revanche, si la progéniture d’Éric Zemmour voulait bien raconter par le menu une engueulade mémorable infligée pour une signature imitée sur un carnet, une remarque désagréable pour une chambre mal rangée, elle aurait de bonnes chances d’être sélectionnée pour le Femina ou le Médicis.

Soyons sérieux : on aimerait une autre rentrée littéraire, avec d’autres auteurs. Dont la rancœur familiale ne tiendrait pas lieu de talent.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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