Décryptage et réaction du général de division (2s) Vincent Desportes aux référendums mis en place par Vladimir Poutine dans les territoires conquis par la Russie.

Marc Eynaud. À une écrasante majorité, les territoires ont validé l’adhésion à la Fédération de Russie. Comment faut-il prendre ces référendums ?

Général Desportes. Il faut les prendre comme une mascarade de référendum et de démocratie, mais il faut aussi les prendre au sérieux car ils ont été inventés pour changer la donne. En effet, dans quelques jours ou quelques heures, la Russie va reconnaître ces oblasts comme partie intégrante de la Russie et les choses vont changer. Pour l’instant, la Russie vivait sa guerre comme une manœuvre offensive vers l'Ukraine. Désormais, elle sera dans une posture défensive. Il y a deux conséquences à cela : la première est de justifier la mobilisation qui est en train de se faire et, d’autre part, de donner aux armées russes la possibilité d'utiliser leur quatrième raison d'user de l’arme nucléaire tactique, à savoir être attaqué dans son existence même.

M. E. Si les Ukrainiens et leurs alliés interviennent sur ces territoires-là, la Russie considérera cela comme une agression sur son propre sol…

G. D. C’est la théorie mise en avant par Monsieur Poutine. Qu’en sera-t-il effectivement ? Je ne sais pas. Le fait que ce soit un territoire russe permettra à Monsieur Poutine d'y envoyer les nouveaux mobilisés sans attendre leur formation. Est-ce que Monsieur Poutine s’en servira d’un argument pour utiliser l’arme nucléaire tactique ? On ne sait pas, mais c’est possible.

M. E. A-t-on franchi un nouveau cran dans ce conflit ?

G. D. On n'avance pas vers une sortie de crise, sauf qu'on voit que les dernières décisions de Monsieur Poutine engendrent une crise interne à la Russie qui pourrait bien se terminer par la chute du pouvoir en place, et en particulier celle de Monsieur Poutine. S’il laissait faire la tendance actuelle, la contre-attaque ukrainienne pourrait peut-être repousser les troupes russes jusqu’à la frontière internationale reconnue entre l’Ukraine et la Russie. Il a modifié la donne et a joué deux des cartes qui lui restaient. L’une est cette mascarade de référendum, l’autre est la mobilisation. Il reste encore une carte à jouer, celle de la frappe nucléaire. Mais on voit bien que son seul but est de faire cesser la tendance actuelle de manière à bloquer la contre-attaque ukrainienne en attendant qu’elle s’enlise dans la raspoutitsa d’automne puis de l’hiver. Monsieur Poutine a besoin de gagner les quatre mois d’hiver à la sortie desquels il pense que la situation aura changé, car il aura reconstruit une partie de son armée et sera peut-être en mesure de repasser à l’attaque. Il pense que les opinions publiques grelottantes en Occident auront poussé leurs dirigeants politiques à cesser leur soutien à l’Ukraine.

M. E. Pensez-vous que des pays pourront reconnaître ces territoires rattachés à la Russie ?

G. D. Pourquoi pas la Corée du Nord ? La Chine et l’Inde ne le feront pas. Ni le Kazakhstan. La Biélorussie ne sait pas ce qu’elle doit faire. Si elle reconnaît ces référendums, elle se trouvera en grande difficulté car la même manœuvre pourrait être faite vis-à-vis d’elle-même. Si elle ne les reconnaît pas, le président Lukashenko pourrait tomber.

7647 vues

28 septembre 2022 à 19:40

Pas encore abonné à La Quotidienne de BV ?

Abonnez-vous en quelques secondes ! Vous recevrez chaque matin par email les articles d'actualité de Boulevard Voltaire.

Vous pourrez vous désabonner à tout moment. C'est parti !

Je m'inscris gratuitement

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.