Après la mort de Michel Piccoli, celle de Jean-Loup Dabadie. Une fois de plus, ce n’est pas une page qui se tourne, mais un livre qui se ferme ; ce, d’autant plus que sur ce site était, récemment, célébré le centenaire de la naissance de Michel Audiard.

Il y était question de transmission, vaste question. En ce sens, Jean-Loup Dabadie fut l’un des innombrables enfants adultérins dudit Audiard, puisque maître en dialogues, scénarios, mais aussi ritournelles ; le défunt ayant été ce que son digne devancier ne fut point : un parolier hors du commun promis à, plus tard, revêtir l’habit vert.

En attendant, le jeune Jean-Loup n’a même pas vingt ans quand il publie son premier roman, Les Yeux secs. Il en a à peine plus quand il se lance à corps perdu dans toutes les collaborations passant à portée de plume, dont celle avec le grand Jean-Christophe Averty à la télévision. Puis, dans un autre registre, le service militaire, à Tarbes, dans un régiment de parachutistes, là où Roger Nimier a, lui aussi, tâté de la chose militaire.

Geneviève Dormann, l’une de ses épouses, se souvient, à l’occasion d’un tardif livre d’entretiens : « Avec Jean-Loup, mon erreur a consisté à avoir confondu quéquette et infini. Nous avons été mariés trois ans, puis il m’a virée. J’avais eu une petite faiblesse pour un journaliste de Marie-Claire… Ce garçon m’avait fait craquer. Mais je faisais ça poliment et discrètement ; car j’étais une femme mariée, tout de même ! »

Au grand dam de cette pionnière en féminisme – « Les femmes ne sont pas les égales des hommes, elles sont bien au-dessus… » –, Dabadie exige le divorce. Réponse de celle qui fut petite sœur des hussards, entre Antoine Blondin et Jacques Laurent : « Si la situation était inversée, si c’est toi qui m’avait trompée, j’irais mettre une pâtée à la bonne femme, mais je n’irais pas chercher des hommes de loi pour régler nos affaires ! Divorçons, mais moi je ne m’occupe de rien. Tu feras ça tout seul. »

On dit que Jean-Loup Dabadie ne se remit jamais vraiment de la rupture avec celle que ses amis réactionnaires avaient surnommée « Doberman ». En l’intervalle, notre homme avait de quoi occuper nuits et journées, puisque devenu scénariste et dialoguiste vedette du cinéma d’alors. Les films de Claude Sautet, évidemment, mais ceux d'Yves Robert surtout, avec Un éléphant, ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis. Ici, quelle dentelle langagière ! Christophe Bourseiller, surprenant la jolie Danièle Delorme au sortir de la douche : « J’aime vos seins, surtout le gauche. » Ou encore Le Bal des casse-pieds, avec Guy Bedos en collapsologue avant l’heure assurant que « la fin est là et que ce n’est que le début… » Mais n’oublions pas, non plus, des films plus noirs, Le Silencieux, de Claude Pinoteau, par exemple, avec Lino Ventura, qu’on peut aujourd’hui tenir pour matrice du Bureau des légendes, la série télévisée d’Éric Rochant.

Puis, sa carrière de parolier. Là, les bijoux se bousculent. Pour Michel Polnareff, l’énigmatique « Holydays », le poignant « Lettre à France » ou le joyeux « On ira tous au paradis », hymne pas tout à fait catholique, mais repris en chœur par l’auteur de ces lignes avec le très traditionaliste abbé Laguérie au sortir d’une émission de TV Libertés. Ensuite, Julien Clerc, avec « Femmes, je vous aime » et « Ma préférence ». Et surtout Jean Gabin, en cet étrange exercice de slam avant l’heure : « Maintenant, je sais ».

En 1989, Jean-Loup Dabadie échoue de peu à l’Académie française, avant de s’y faire finalement admettre en 2008. Là, c’est le saltimbanque de génie qui est raillé par des cuistres ayant manifestement oublié qu’ils avaient accueilli un Valéry Giscard d’Estaing et ses livres à l’humour involontaire en cette auguste enceinte.

Il est vrai que les deux hommes ne jouent pas exactement dans la même catégorie et que la comparaison profite plus à l’un qu’à l’autre. Devinez lequel…

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 03/06/2020 à 9:48.

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25 mai 2020 à 17:02

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