Les voyages présidentiels en Chine sont devenus un exercice convenu de communication politique, programmé opportunément à mi-mandat pour prendre du champ avec les dossiers intérieurs en souffrance et faire diversion d’un bilan intermédiaire décevant et alarmant.

Emmanuel Macron a pu donner l’illusion de faire partie des grands de la scène de théâtre internationale. Tout étant démesuré dans l’empire du Milieu devenu centre économique du monde, le « butin » rapporté sous forme de contrats commerciaux pour près de quatorze milliards d’euros impressionne la galerie médiatique.

Il est vrai que le Devisement du monde a laissé la place au « monde des devises ». Pour autant, va-t-on se laisser abuser comme on l’a été longtemps par les récits de Marco Polo ? Car nous savons, maintenant, que le commerçant vénitien n’a pas effectué le voyage légendaire qu’il a prétendu faire au XIIIe siècle et raconté dans sa prison génoise à son biographe Rusticello de Pise (1). Que peut-on lire dans cette nouvelle version du Livre des merveilles ?

À l’instar de Marco Polo, Messire Macron voudrait nous faire croire à des contrats mirifiques alors que nous connaissons les tribulations quotidiennes des entreprises étrangères en Chine. Au-delà des effets d’annonce, comment croire que l’intérêt mutuel entre les deux pays serait équilibré ? On peut s’interroger sur les réelles et discrètes conditions et compensations politiques et économiques, notamment en termes de transferts de connaissances, de compétences et de propriété intellectuelle et industrielle qui ont tant profité à la Chine, désormais leader de l’innovation technologique et scientifique.

Membre de l’OMC depuis 2001, la Chine maximise son avantage de superpuissance économique et financière, donc politique, pour imposer des conditions de plus en plus exigeantes. Revers d’une politique complaisante de non-ingérence, les États partenaires découvrent les réalités d’une mise sous dépendance économique par le biais de l’endettement souverain. C’est ainsi que les « nouvelles routes de la soie » innervent et contrôlent désormais le commerce mondial par des voies terrestres et maritimes jalonnées de plates-formes portuaires, aéroportuaires et logistiques, selon la stratégie du « collier de perles ».

Or, on constate, dans le quotidien des affaires, les écarts entre les univers de pensée occidentale et chinoise, si bien décrits dans l’œuvre prolifique du philosophe sinologue François Jullien. Par ailleurs, le professeur et chercheur Emmanuel Lincot, spécialiste de la Chine contemporaine, nous éclaire sur les différences entre le « soft power » et le « sharp power » de la diplomatie culturelle chinoise (2).

D’un côté, le nain économique français, gonflé d’hubris politique, est soucieux d’efficacité tactique. Il a obtenu (à confirmer) un gain électoraliste de court terme en claironnant des contrats en apparence bénéficiaires et une fronde diplomatique franco-chinoise flatteuse, face aux États-Unis, sur les questions climatiques et environnementales ; lesquelles ne sont, pour les deux géants, qu’un terrain indirect d’affrontement politico-économique.

Face à lui, le subtil Traité de l’efficacité nous enseigne que les Chinois ont un rapport très différent au temps et à l’action comme processus, avec une vision stratégique de long terme (3). Où l’efficacité découle naturellement d’un « potentiel de situation » obtenu sans fanfaronnade, résultat de « transformations silencieuses » (4). Avec, toutefois, le défi de gérer des difficultés naturellement liées à l’échelle mondiale de son déploiement géostratégique.

La Chine s’étant maintenant bien éveillée, il est urgent que la France, pour être crédible et respectée, sorte de sa torpeur et se remette à produire au moins autant de richesses qu’elle en consomme. Les transformations internes y sont tout sauf « silencieuses » et Macron Polo a tout à faire pour réformer enfin son pays.

(1) Did Marco Polo go to China? , Frances Wood, 1995
(2) Chine, une nouvelle puissance culturelle ?, Emmanuel Lincot, éditions MkF, 2019
(3) Traité de l’efficacité, François Jullien, Poche, 2002
(4) Les Transformations silencieuses, François Jullien, Grasset, 2009

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/11/2019 à 16:24.

1949 vues

08 novembre 2019 à 10:29

Partager

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.