[Livre] Scènes de ma vie privée : pas de Nobel pour Patrick Besson !

BESSON

Patrick Besson n’aura pas le Nobel. Il n’aura que des lecteurs. Aucune bande rouge et automnale ne viendra barrer la couverture de Scènes de ma vie privée, roman (Grasset). Son ami Éric Neuhoff aurait pu écrire cette phrase s’il ne l’avait pas déjà utilisée pour un autre, dans Service littéraire. Publié dans L’Huma, Le Point ou Le Figaro Littéraire, que ce soit un roman, une nouvelle, un récit autobiographique, un texte de Patrick Besson – dont je suis l’œuvre depuis mon adolescence – est immédiatement reconnaissable. Dès les premières phrases, il y a un son. Le bes-son. Un ton. Ironie méchante. Sourire mordant. Accessible à certaine mélancolie. Classé dans la mouvance hussarde avec Neuhoff. Sens de la formule définitive sur fond de dégagement. Page 121, un couple d’amis du narrateur visite la maison de John Keats à Rome. « – Mort à 25 ans comme moi, dit Natacha. – Tu as 25 ans mais tu n’es pas morte. – Je suis marié : c’est pareil. – Le mariage, c’est toi qui en as parlé la première. – Parce que je suis suicidaire. – Charmant début de voyage de noces. » Page 28, à Éric, l’un de ses éditeurs : « [nous] qui avons épousé des filles jeunes et qui nous sommes rendu compte que ça nous vieillissait. » Incorrect oblige, page 43 : « La blondeur dorienne chère aux Grecs anciens avant que leurs ennemis bruns – Perses, Romains, Ottomans, Turcs – ne la noircissent. »

Je plaisantais en aparté avec Éric Naulleau lors d’une récente soirée littéraire au club we are sous l’égide du Prix des Hussards, lequel convenait que le récent récipiendaire du prix Nobel de littérature en était l’exact opposé, tant sur la forme que sur le fond. Stylistiquement, nous sommes passés chez l’écrivaine (que c’est moche) de la pauvreté à l’indigence. Ainsi le maigre incipit du Jeune homme de la nobélisée, à peine un pitch : « Il y a cinq ans, j’ai passé une nuit malhabile avec un étudiant qui m’écrivait depuis un an et avait voulu me rencontrer. » Fin de l’histoire pour Annie Ernaux au bout du rouleau après trente pages.

En revanche, chez Patrick Besson, dès l’incipit, le narrateur se souvient : « Mourir le cœur lourd. Cette expression – le cœur lourd – dont j’ai vérifié, Zoé partie, l’exactitude. L’explication de l’amaigrissement pendant un chagrin d’amour : le cœur pesant deux ou trois fois son poids habituel, il faut alléger le reste du corps si on ne veut pas tomber. Il y a aussi tourner en rond. Et faire les cent pas. Dans notre appartement de la rue des Trois-Frères (Paris XVIIIe), je tourne en rond et fais les cent pas. La chambre de Sabine est ma destination finale, avec son lit-bateau et ses livres illustrés. Il n’y a presque plus de jouets : Zoé en a emporté un certain nombre, ai jeté les autres. Les enfants ont trop de jouets. Les adultes aussi. […] » Grasset lui a gentiment mis un grand bandeau rouge avec son prénom et, en très gros, son nom : c’est ça, la classe.

En exergue de son roman, ce vers de Corneille : « Elle est trop dans son cœur, on ne l’en peut chasser » qui donne le la au livre. En fait, il y a six épigraphes, le dernier est de Labou Tansi : « Le roman est paraît-il une œuvre d’imagination. » Ah, j’oubliais : le narrateur s’appelle Lucien, pas Patrick.

Lucien, romancier français de 68 ans, est dans un drôle d’état depuis qu'il a été abandonné par sa femme Zoé, éditrice (puis romancière) de 33 ans ; s’il est hébété, c’est de voir sa solitude prendre des airs de liberté, et sa séparation n’être qu’un doux leurre, tant elle reste présente.

Thierry Martin
Thierry Martin
Auteur, dirigeant d’entreprise, sociologue de formation

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