Librairies : émotion à gauche quand le pouvoir les ferme, silence quand l’extrême gauche les saccage

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La Macronie en général et le ministre de l’Intérieur en particulier naviguent en mer calme vers une forme d’absolutisme démocratique. Une démocrature à peine masquée dans les coins. Et c’est sans doute un miracle de Noël : la gauche semble soudain s’en apercevoir, à l’occasion d’une de ces mesures infimes qui en disent long.

Le 9 décembre, le bon ministre de l’Intérieur M. Darmanin se rend à Nice pour poser la première pierre du futur hôtel de police de la ville. Mais voilà, en face du futur bâtiment, une librairie militante féministe en profite pour se faire un peu de publicité. C’est de bonne guerre. Elle a reçu récemment un auteur, Hélène Devynck, pour son livre titré Impunité, qui accuse l’ancien présentateur du 20 heures de TF1 de viols. La petite librairie a donc prévu d’accueillir à sa façon le ministre qui traina un temps ce type d’affaires (soldées par un non-lieu et un classement sans suite). Le haut de la vitrine porte en grosses lettres le mot « impunité ». En dessous, sur l’étalage, les couvertures du livre d’Hélène Devynck. Entre les deux, des slogans, « Violeurs on vous voit, victimes on vous croit ». Insupportable pour les autorités. Les policiers collent des panneaux noirs et interdisent l’entrée dans la librairie le temps de la cérémonie. On ne rigole pas avec l’image du ministre.

On n'en saura rien. Nice est si loin de Paris. Mais voilà, le pouvoir a pris des risques, celui de réveiller les grandes consciences de la gauche, pour de vraies raisons cette fois. Flairant la bonne affaire, l’éditeur publie une page sur cet épisode dans Le Monde du 20 décembre : « On censure une librairie, on censure un livre », écrit Le Seuil.

Des librairies indépendantes emboîtent le pas. Toute la gauche s’enflamme. Alice Coffin, Edwy Plenel...

Le signal est donné au chœur des médias : Libération, Mediapart, Télérama, Le Monde, Marie Claire se penchent sur l'affaire. À droite aussi, on s’émeut. Thierry Mariani, député européen RN, manifeste sa réprobation dans un tweet.

Ils ont raison. La démarche de la librairie était provocatrice mais elle était légale. Le pouvoir sous Macron aura franchi toutes les limites, piétiné allègrement toutes les libertés, et il fallait tout de même le culot de nos dirigeants pour oser voiler de noir une librairie. Le symbole est énorme : c’est le livre, le savoir, l’expression, la liberté, l’écrit, c’est une part de notre civilisation que l’on voile ainsi de noir.

L’émotion est légitime, mais elle est, une fois encore, à sens unique. Curieusement, nos bonnes consciences aujourd'hui sur le pied de guerre sont restées muettes lorsque des librairies réputées de droite ont été attaquées, saccagées, taguées, perturbées. Mediapart, Le Monde, Télérama, Libération, Marie Claire sont demeurés de marbre lorsque la Librairie des Deux Cités, à Nancy, a subi les attaques des antifas en février 2022, à l'occasion d'une séance de dédicace pour la sortie du livre de Stella Kamnga ou, en mai 2022, lors d'une manifestation d'extrême gauche « contre le fascisme ». BV s’est senti un peu seul lorsqu’il a donné la parole au gérant des Deux Cités.

[Point de vue] Silence de plomb quand l’extrême gauche s’attaque à une librairie

Pas la moindre émotion de nos grands défenseurs du livre quand, dans la nuit du vendredi 28 au samedi 29 août 2020, à Lyon, dans le IIe arrondissement, la devanture de la librairie chrétienne CLC fut recouverte de tags antichrétiens : « Le christianisme est une secte qui a réussi », « Là-haut, Dieu n’existe pas » ou ce dessin du Christ en croix, suivi de ces lettres « PD ». Le Progrès s’en était ému et, sur Twitter, le préfet du Rhône, Pascal Mailhos, avait condamné le débordement « avec la plus grande fermeté », adressant « tout son soutien à la communauté chrétienne ». Lui aussi était resté un peu seul.

Lyon : une librairie chrétienne recouverte de tags antichrétiens 

Aucune condamnation, non plus, quand, le 9 février 2019, des antifas saccagent La Nouvelle Librairie à Paris et jettent des livres.

Des antifas casseurs vandalisent la Nouvelle Librairie et jettent des livres !

L’intelligentsia de gauche aurait pu clamer : « Nous ne lisons pas les mêmes livres que vous mais nous nous ferions tuer pour que vous puissiez continuer à les lire ». Rien de tel. Le gérant de la librairie François Bousquet demande quelle aurait été la réaction de nos milieux germanopratins si l’ultra-droite (la fameuse) avait saccagé une librairie de gauche. On imagine l'impact : celui du voyage de Darmanin à Nice, puissance 100… Il y a donc librairie et librairie, livre et livre, respect et respect, liberté et liberté. La définition de cet absolutisme démocratique.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

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