Aujourd’hui, votre extension numérique principale - ordinateur, tablette, téléphone - vous nourrit d’informations par deux canaux : un écran à deux dimensions et des haut-parleurs. Vous le fournissez en informations et instructions via la pression de vos doigts sur un clavier, une souris, un écran tactile ou parfois, encore, via votre voix. La communication entre l’homme et la machine passe par la vue, le toucher et l’ouïe.

Vous pouvez accéder à la réalité augmentée (par exemple l’ajout d’informations essentielles de votre véhicule projetées sur votre pare-brise). Et vous pouvez aussi, si vous cassez votre tirelire, vous immerger dans la mal nommée réalité virtuelle : votre perception du monde ne passe que par des artefacts connectés. C’est l'ordinateur qui choisit quelles images seront affichées dans votre casque, quels sons vous entendrez, quelles sensations tactiles vous seront transmises via vos gants. La réalité virtuelle permet, certes, de jouer, mais elle a de nombreuses applications sérieuses et bénéfiques et qui deviendront rentables si elles ne le sont pas déjà : la formation des médecins ou des militaires, la rééducation, la psychothérapie, l’aide à la conception et la simulation dans l’industrie ou dans l’architecture… Ces artefacts, qui permettent de substituer un monde numérique simulé au monde réel, étendront encore leurs fonctions : par exemple, un écran du casque saura quel objet virtuel vos yeux fixent et pourra le sélectionner et agir dessus, dans le monde virtuel ou dans le monde réel.

Le géant Facebook, devenu Meta, a annoncé, avec son changement de nom, des investissements colossaux dans ce futur avec son projet Metaverse, mot-valise formé de meta et universe. Le préfixe « méta » nous renvoie à l’au-delà, au profond, à l’après, à l’abstraction. Demain, accéder à un réseau social se fera avec tous ces artefacts. Le pouce bleu levé vers le haut adressé à un ami pourra être remplacé par un tapotement d’épaule virtuel, mais les doigts agités dans le vide ressentiront un contact simulé par un gant spécial. La frontière entre la vraie vie et son succédané virtuel s’estompera dans tous les domaines. Les visioconférences qui se sont tant popularisées lors du confinement deviendront plus immersives. Vous pourrez aller virtuellement visiter le musée Rodin ensemble avec votre ami localisé à Perpignan sans quitter Dunkerque et y rencontrer d’autres visiteurs, et interagir avec eux. Bien sûr, dans l’univers virtuel ainsi créé, Metaverse se chargera surtout des interactions sociales entre les avatars. Mais il est assez probable que seront collectées assez de données permettant d’encore mieux savoir qui est derrière cet avatar : face à un stimulus, un tremblement de la main, un clignement trop rapide de l’œil ou une légère accélération du rythme cardiaque seront des signaux décortiqués par une intelligence artificielle, sans doute pour rendre l’utilisateur plus vulnérable au marketing ciblé. Ou pire.

Ces univers virtuels futurs ne sont pas encore opérationnels, mais nul doute qu’ils seront la cause de maintes pollutions : avec beaucoup plus de puissance de calcul, de stockage et de bande passante requise tant en local que dans les serveurs, les opérateurs de télécommunication, les constructeurs informatiques et les fournisseurs d’électricité se frottent les mains. Peu leur chaut que le gaz carbonique (CO2) surabonde, et tant pis pour les petits esclaves d’Afrique en charge de l’extraction des terres rares : c’est une occasion d’affaire.

Le problème de la responsabilité dans ces univers virtuels se posera un jour et sera compliqué à résoudre. Pour mémoire, en 2008, un couple d’Anglais divorçait parce que l’avatar de monsieur trompait madame (ou son avatar ?) avec celui d’une prostituée dans Second Life, ce jeu qui était le prototype d’un univers virtuel. Devront être abordées et celle des participants et celle des promoteurs de l’univers dont l’innocuité n’est peut-être pas garantie, notamment en ce qui concerne l’addiction.

Le technophile désabusé que je suis pense n’avoir qu’effleuré le sujet et les enjeux et les écueils éthiques que pourrait présenter ce « progrès ». Qu’il me soit permis un clin d’œil aux naguère jeunes collègues ingénieurs qui avaient affiché dans leur bureau « laboratoire d’intelligence naturelle » pour narguer leur chef de département, féru d’intelligence artificielle encore à son balbutiement et qui semblait vouloir s’en faire l’apôtre. La porosité homme – machine est l’un des sujets du transhumanisme, mais le clinquant des promesses pourrait abolir notre jugement.

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28 novembre 2021 à 15:49

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