À l’heure de la guerre en Ukraine, cette question peut paraître bien minuscule. Et pourtant ! Pour le grand public, qu’évoque l’Ordre de Malte ? La quête pour les lépreux, le dernier dimanche de janvier, à la sortie des églises. Des uniformes désuets constellés de croix et de plaques portés par des messieurs très dignes. Le souvenir de vacances à Malte, peut-être, sans forcément connaître le lien entre l’île et l’Ordre.

L’Ordre de Malte, de son nom complet l’Ordre souverain militaire hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte, est tout à la fois un sujet de droit international, un ordre religieux et une organisation humanitaire. C’est ce qui fait son originalité. Son nom complet résume en quelque sorte son histoire et l’essence de ce qu’il est encore aujourd’hui.

Il tire son origine des croisades, lorsqu’au milieu du XIe siècle fut créé l’hôpital de Jérusalem pour soigner les malades et recueillir les indigents. En 1113, le pape Pascal II consacra cette congrégation hospitalière en ordre religieux. Après le départ des chrétiens de Terre sainte, l’Ordre s’installa à Rhodes en 1310. Il en fut chassé par les Turcs en 1522 et se réfugia alors à Malte. C’est le débarquement des troupes de Bonaparte, en route pour l’Égypte en 1798, qui mit fin à la présence des chevaliers à Malte. L’ordre, en se dispersant à travers l’Europe, faillit disparaître. État sans territoire, il réussit finalement à survivre et s’installa à Rome en 1834, accueilli par le pape.

Par le fait qu’il a exercé la souveraineté sur l’île de Malte durant plusieurs siècles, l’Ordre a réussi à survivre comme une sorte d’État sans territoire, bénéficiant d’une reconnaissance internationale, à la différence de tous les autres ordres religieux et chevaleresques dépendant du Saint-Siège. Ainsi, son siège à Rome, le Palais Malta, situé sur le territoire de la République italienne et non de l’État du Vatican, bénéficie de l’extraterritorialité. L’Ordre entretient des relations diplomatiques avec de nombreux États, délivre des passeports, arbore un drapeau et est observateur aux Nations unies. Une situation unique, privilège hérité de l’Histoire.

Ces rappels historiques et de droit international très lapidaires pour en arriver à la crise qui frappe cette vénérable institution depuis plusieurs années et à laquelle le pape François vient de mettre un point final, avec la brutalité dont il est capable. Certes, l’Ordre en a connu d'autres, durant sa longue histoire. Roger Peyrefitte, en 1957, dans Chevaliers de Malte, publié en 1957, évoqua de façon romancée l’une de ces crises avec le Saint-Siège dans les années 50 qui n'est pas sans rappeler celle d'aujourd'hui.

En 2016, donc, le grand chancelier de l’Ordre, sorte de ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères, Albrecht von Boeselager, est contraint à la démission par les instances de l’Ordre. Une démission qui, selon Boeselager, aurait été initiée par le cardinal Burke, alors cardinal patron de l’Ordre et dont les positions conservatrices sont bien connues au sein de l'Église catholique. S’ensuivit une grave crise dans laquelle le pape François est très vite intervenu. Une occasion, pour lui, de s’immiscer dans l’organisation et le fonctionnement interne, quitte à tordre le bras à des siècles de tradition, d’usage et, peut-être aussi, de droit, tant canonique qu’international. Car sur fond de débat autour de la nature de l’ordre (ONG ou ordre religieux ?), c’est bien à une véritable reprise, pour ne pas dire prise en main, de l’Ordre souverain de Malte que l'on semble assister aujourd’hui.

En effet, après des mois de palabres et d’échanges entre le Saint-Siège et l’Ordre souverain, ce 3 septembre, le pape vient de signer un décret promulguant une nouvelle constitution de l’Ordre. Dans ce décret, il est rappelé que l’Ordre est bien religieux et n'est pas une ONG (il est pourtant bien un ordre hospitalier), ce qui laisse craindre une menace d’annexion par le Saint-Siège. Une phrase de ce décret inquiète tout particulièrement les défenseurs de cette souveraineté chèrement acquise à travers les siècles : « […] étant un ordre religieux, il dépend, dans ses diverses articulations, du Saint-Siège ». Une prise en main que d’aucuns pourraient qualifier de coup d’État, puisqu’elle se traduit par « la révocation de toutes les hautes charges, la dissolution de l'actuel Conseil souverain et la constitution d'un Conseil souverain provisoire ». Désormais, le pape désignera lui-même les ministres de l’Ordre. Il semble loin, le fameux principe de subsidiarité défendu jadis par les pontifes romains !

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 05/09/2022 à 12:02.

8706 vues

03 septembre 2022 à 19:06

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.

32 commentaires

  1. L’Eglise a déjà connu un pape beaucoup plus politique que théologique. Certes, il n’a pas laissé beaucoup de traces de sa charité dans l’histoire. Il s’appelait César Borgia !

  2. Incompétent, idéologue, paresse intellectuelle, …
    Sur tous les dossiers actuels traités par ce pape, on retrouve ces caractéristiques, qui expliquent la brutalité, voire la méchanceté de ses décisions.

    Le devoir d’obéissance ? Un catholique n’est tenu d’obéir au Papa, que tant que celui-ci obéit au Christ, ce qui visiblement n’est pas la cas …
    J’espère pour l’Ordre de Malte qu’ils empêcheront juridiquement ou autre, ce coup d’état.

  3. Tous ces commentaires me désolent! Mais je pense qu’ils ne viennent pas de pratiquants. Dans le cas contraire, je me permets de rappeler à mes frères en Eglise, que le Pape est l’unique et légitime Chef de l’Eglise Catholique. Il tient son autorité du Christ même. Et à nous Catholiques, il nous ai demandé de nous soumettre et de prier pour le Saint Père. Tout le reste n’est que l’œuvre du « malin ». La pensée et l’action du Pape me bousculent souvent, mais la fidélité au siège de Pierre prime sur tout le reste. Relisez le Catéchisme de l’Eglise Catholique et faites silence (pour ceux qui se disent Catholiques).

    1. L’Eglise a déjà connu un pape condamné pour hérésie (le monophysisme), quoique de façon non formelle (un pape hérétique, ça ferait mauvais genre). Et le Christ notre seigneur ne nous a-t-il pas prévenu qu’à l’approche de la fin des temps, nous verrions l’abomination de la désolation dans le lieu saint ?

  4. Ce « pape » est capable de tout un fois de plus mais je ne suis pas catholique romain donc en tant que chrétien cela me conforte dans l’idée que l’Église du Christ visible est en très mauvais état. Heureusement Dieu garde le fameux « reste » en réserve et les protège de toutes ces salades et magouilles ecclésiastiques !!! Bravo encore pour ce fameux et orgueilleux « vicaire » du Christ !!!

  5. Historiquement, l’Ordre de Malte s’est donné d pour mission de défendre la chétienté (en orient). Il fallait s’attendre à ce que françois mette fin à cette hérésie.

  6. François ne laissera pas un grand souvenir dans la chrétienté. Il ne démissionnera jamais par orgueil et va attendre que Dieu le rappelle à lui.

  7. Merci pour cet indispensable rappel de l’Histoire de l’Ordre de Malte. Victime d’un coup fourré du Vatican, les chevaliers n’ont-ils pas le moyen de se défendre et de garantir leur place et leur rôle, que justifie une aussi longue histoire ?

Les commentaires sont fermés.