Le livre de l’été : Les Grands Excentriques, de Nicolas Gauthier (3)

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Comme chaque année, à l’occasion de l’été, Boulevard Voltaire vous offre des extraits de livres. Cette semaine, Les Grands Excentriques, de Nicolas Gauthier.

Durant les années 1990, les locaux de L’Idiot international, le journal de Jean-Edern Hallier, sont dans le dixième arrondissement parisien, pas très loin de ceux de Minute et guère plus loin de ceux de National Hebdo, le journal du Front national. C’est une étrange faune journalistique qui se côtoie entre ces murs exigus. Anciens de Hara Kiri et de Charlie Hebdo, transfuges lepénistes, communistes déclassés, anarchistes inclassables, trublions en tous genres.

Les comités de rédaction se tiennent selon un rite immuable. Jean-Edern appelle tout le monde aux aurores – à la longue, les journalistes seront de plus en plus nombreux à décrocher le téléphone en se couchant le soir –, on se retrouve ensuite, une fois dans les locaux du journal, et l’autre chez lui, place des Vosges, sur le coup des dix heures du matin, pour un semblant de réunion, généralement arrosé de vodka, malgré l’heure plus que matinale.

Régulièrement, il promet à l’un ou à l’autre la rédaction de l’hebdomadaire, sachant que « ses » journalistes sont, chacun leur tour, les "plus doués de leur génération". Les après-midi sont généralement plus rudes. Selon le nombre de verres ingurgités à la Closerie des lilas, ce restaurant du quatorzième arrondissement parisien dont il a fait son quartier général, et les lignes de cocaïne qu’il a sniffées ensuite, juste histoire de se remettre sur les rails, si l’on peut dire, Jean-Edern Hallier peut se montrer d’humeur fluctuante.

Un ancien de la rédaction témoigne : "Ça variait selon les jours et les humeurs. Des fois, un huissier arrivait pour le sortir de sa sieste. Alors, Jean-Edern Hallier arrivait comme un diable, sa bouteille de vodka à la main et, dans les grandes occasions, se débraguettait afin d’exposer ses attributs virils à l’huissier qui, le plus souvent, se barrait en courant, surtout lorsqu’il s’agissait d’une huissière."

Et notre ancien journaliste de poursuivre : "Un jour, pour récompenser toute l’équipe, Jean-Edern a fait venir Michel Ricaud, célèbre réalisateur de films pornographiques, mort en 1993, dans les locaux de L’Idiot afin que tout le monde puisse tourner ensemble un film porno. Michel était très gêné, car il ne faut pas oublier que malgré sa profession, il s’agissait d’un homme aussi élégant que pudique. Mais, pour faire plaisir à notre patron, il a commencé à faire des repérages. “Tiens, ici, si la table à dessin est assez solide, on pourrait envisager ceci ou cela…” Et le dessinateur à qui appartenait la table se mettait à gueuler : “Faites vos conneries où vous voulez, mais pas sur ma table à dessin. Je vous préviens que si je la retrouve, lundi prochain, pleine de foutre, vous aurez de mes nouvelles !” Au bout du compte, le film ne s’est jamais fait. Les journalistes mariés n’étaient pas très chauds. Et même les célibataires n’avaient pas envie de se retrouver à faire des galipettes dans une vidéo de Marc Dorcel pour que leurs familles puissent ensuite voir leurs exploits dans le vidéo-club au coin de la rue… De toute manière, Jean-Edern avait déjà tout oublié de son projet après une bonne nuit de sommeil !"

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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