Notre ami Christian Vanneste écrivait ici, il y a quelques jours, que le libéralisme n’est pas une idéologie parce qu’il y a un grand nombre de courants en son sein. Mais il en va de même pour le socialisme, pour le nationalisme ou pour le conservatisme, ce qui n’ôte rien à leur caractère idéologique.

Les libéralismes ont un socle commun, l’individualisme ; or, c’est précisément l’individualisme, lequel est au cœur du libéralisme depuis ses origines au XVIIe siècle, qui pose problème parce qu’il affirme que les communautés (dont les communautés nationales) sont des illusions.

L’individualisme moderne est né en Angleterre avec le moine franciscain anglais Guillaume d’Ockham (1285-1347) qui est à l’origine de la théorie nominaliste. Louis Dumont a écrit à son sujet que frère Guillaume peut être considéré comme le père spirituel des Anglo-Saxons modernes. C’est John Locke (1632-1704) qui transmit au XVIIIe siècle, via ses écrits philosophiques, le libéralisme et donc l’individualisme en France. C’est à partir de ses travaux que fut élaboré, par les philosophes des Lumières, le libéralisme français qui devint la référence intellectuelle des révolutionnaires de 1789. Jacques Julliard a écrit : "En dépit de l’épisode de la Terreur qui brouille les pistes sans modifier en profondeur la nature du phénomène, 1789 a accompli, contre l’Ancien régime, une révolution libérale ; elle a institué une société d’individus, là où auparavant existaient des ordres, des corporations, des professions organisées. Ce n’est pas seulement en matière juridique et politique, comme en témoigne la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que la Révolution française est individualiste ; elle est en outre libérale en matière économique, favorable à la propriété individuelle et à la libre entreprise" (Les gauches françaises). Même Robespierre, qui était un lecteur assidu de Rousseau, était libéral ; la société telle que la concevait les Jacobins était une société d’individus "fermement gouvernés par un Etat central puissant" (Julliard).

La gauche, qui vit le jour en 1789, était libérale tandis qu’à droite siégeaient les Monarchiens qui étaient favorables à une réforme de la monarchie. Cette première gauche libérale a diffusé le virus individualiste dont héritèrent les socialismes qui, tous, ne connaissent que l’individu et ignorent les communautés polies par l’histoire. Selon Jacques Julliard, Jean Jaurès s’en réclamait, tout comme Saint-Simon et Proudhon. Jaurès a écrit : "C’est l’individu humain qui est la mesure de toute chose, de la patrie, de la famille, de la propriété, de l’humanité, de Dieu. Voilà la logique de l’idée révolutionnaire [….]. Voilà le socialisme’".

Le libéralisme, né à gauche, n’a été repoussé vers la droite qu’après la naissance du socialisme et, au XXe siècle, l’apparition du communisme l’a repoussé davantage encore vers la droite mais le péril communiste ayant disparu et le socialisme n’étant plus que l’ombre de ce qu’il fut, le libéralisme redevient l’idéologie de la gauche.

Pour conclure, une citation de Jacques Julliard qui résume la situation : "Ce que cette longue traversée de deux siècles et demi nous a montré, c’est que la gauche, parti de l’individu face au primat du collectif qui était l’apanage de la droite, la gauche qui a fait la Révolution française au nom des droits de l’individu, droits politiques, économiques, sociaux, cette gauche devenue collectiviste au milieu du XIXe siècle à cause de l’impératif de défense des droits sociaux des classes laborieuses face à l’égoïsme féroce des détenteurs du capital, est aujourd’hui revenue, sans toujours le dire ni même le savoir, à ses origines : elle est redevenue le parti de l’individu." (Les gauches françaises, page 879).

La gauche étant le parti de l’individu, alors la droite est le parti de la communauté, c'est-à-dire qu’elle ne peut être libérale.

 

 

 

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08 février 2020 à 20:23

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