L’après crise coronavirus : une auberge espagnole ?

auberge espagnole

Tout le monde parle du temps « après ». De ce qui adviendra après le confinement, cet énorme examen de conscience planétaire, même si le virus, probablement, va continuer à sévir, guettant nos moindres mouvements. En face de chez moi, une vitrine restée vide depuis des mois semble avoir trouvé acquéreur avec un voyagiste. Le nouveau propriétaire confesse, penaud : « C’est pas le moment d’ouvrir une agence de voyage. »

L’« après » est une spécialité du penser moderne. Dans mon domaine d’activité culturelle, la photographie, on a parlé un temps de la « post-photographie » et, aujourd’hui, de « l’après-post-photographie* ». L’angoisse de l’« après » est une pathologie du monde nouveau réunissant plusieurs symptômes : le manque d’intuition, le manque de prévoyance, le manque d’imagination, le manque de profondeur spirituelle, bref, le manque de véritable humanité au sens où Maritain parlait d’humanisme intégral.

On est donc dans la projection, angoissée, optimiste ou pessimiste et rarement réaliste.

Personnellement, partageant avec Bloy ou Chesterton une forme d’anarchisme chrétien, j’opterais pour une solution réaliste radicale, celle proposée par Simone Weil : la suppression générale des partis politiques**, mais, j’en conviens cette idée relève de l’utopie ; quoique...

Tout le monde – et plus particulièrement en France, qui reste malgré tout encore sous le traumatisme du mouvement gilets jaunes – semble préoccupé de faire du passé table rase.

C’est donc devenu une démangeaison nationale, probablement due à une certitude unanimement partagée : Macron est mort et le macronisme avec lui, et avec lui, on voudrait enterrer définitivement ceux qui l’ont précédé.

Alors tout le monde y va de son « après ». On entend toutes sortes de propositions, y compris les plus farfelues, comme Charles Gave en 2022.

Michel Onfray, qui a toute ma sympathie pour son courage face au penser correct, mais loin d’avoir mon adhésion philosophique, à mon grand étonnement, y va aussi de son après en lançant un mouvement inédit (!), le « front populaire », qui, dit-il, veut rassembler populistes et souverainistes. Plein de bonne volonté, notre Michel national, mais très ambigu, voire léger, lorsqu’il s’agit d’évoquer les racines culturelles et chrétiennes de la France contre l’islamisme : il faut défendre le christianisme pour ce qu’il a produit de beau dans la culture française, les belles cathédrales, la littérature, la peinture… vous me direz, c’est déjà pas mal, mais un peu court pour un philosophe de l’esprit.

Son programme : respecter les lois de la République et l’aimer pour sa devise liberté, égalité, fraternité, à quoi il ajoute « laïcité et féminisme ».

Au train où vont les choses, l’« après » a de fortes chances de ressembler à une auberge espagnole. Pourquoi pas ?

De quoi tout cela va-t-il accoucher ? Peut-être d’une souris ou d’un monstre, ou, finalement, une fois les fantasmes et les doux délires dépassés et apaisés, de rien du tout. La finance pourrait reprendre ses droits et tout serait comme avant. Mais à entendre Olivier Delamarche, les partisans du retour à la normale risquent de déchanter.

Dans tous les cas, on n’est pas sortis de l’auberge.

On vit décidément une époque fantastique.

* In Art Press hors-série n° 52

** in Écrits de Londres et dernières lettres (1957)

Frédéric Marc
Frédéric Marc
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