La presse quotidienne régionale : très important ! C’est celle qu’on lit sur le coin du zinc, le matin, en prenant un café. Mais pas seulement. Ainsi, La Dépêche, en septembre 2018, soulignait que la PQR (c’est comme ça qu’on dit) pèse pas moins de 41 millions de lecteurs mensuels, sur 51 millions. Le quotidien régional : le journal de la proximité, des « territoires », comme on dit aujourd’hui, de la France périphérique, des ronds-points… Le canard qui offre son heure de gloire à la grand-mère centenaire ou aux gamins de la kermesse des écoles.

En 2012, 37 % des Français lisaient au moins un titre de presse quotidienne régionale. En 2000, une étude de l’INSEE montrait que plus de la moitié des 70 ans et plus lisaient au moins deux fois par semaine un quotidien régional, contre moins d’un quart chez les moins de trente ans. Toutes ces données statistiques, sans doute plus actualisées que les miennes, l’Élysée les a en sa possession. D’où, sans doute, l’interview donnée par Emmanuel Macron à la plupart des journaux régionaux, interview parue ce mardi. À cinq jours des élections européennes…

Quand on sait que la presse écrite n’est pas tenue par les règles imposées aux radios et chaînes télé (décompte du temps de parole), c’est un moyen, pour le Président, de s’impliquer dans la campagne à peu de frais. Un journal peut même prendre parti pour un candidat, ce que ne peut pas faire une télévision. En principe. Par cette interview de la dernière chance, ultima ratio, Emmanuel Macron espère sans doute toucher un lectorat pour le transformer en électorat. Les retraités, notamment, qu’il secoue pourtant drôlement depuis deux ans, et qui votent plus que les jeunes. Et quoi de mieux, pour gagner ou regagner les générations plus anciennes, que d’agir sur la peur : « Décider de ne pas aller voter, c’est décider de donner sa voix à ceux qui ne veulent que détruire. » Histoire d’essayer d’ébranler les grognons encore fâchés par la hausse de la CSG et le gel des pensions, et de les inciter à aller voter dimanche.

Deux quotidiens, pourtant, n’ont pas marché dans la combine : Le Télégramme (Bretagne) et La Voix du Nord. Le rédacteur en chef du quotidien du Nord s’en est expliqué : « La Voix du Nord ne participe pas à l’interview d’E. Macron par la PQR. À 5 jours du scrutin, cela perturberait l’équilibre du traitement de la campagne auquel nous essayons de veiller et la publication est soumise à la relecture préalable de l’Elysée. Donc c’est sans nous. » » Clair. Quant au directeur de publication du Télégramme, il a été encore plus clair : « Comme La Voix du Nord, Le Télégramme n’a pas souhaité se plier à l’interview collective du Président Emmanuel Macron dont le principe est une négation de l’identité des titres de la presse régionale et des territoires qu’ils représentent. » A contrario, Nice-Matin, qui a répondu favorablement à cette interview, a justifié cette relecture de façon assez curieuse. « Le groupe Nice-Matin a ainsi refusé systématiquement toute relecture de la part des têtes de liste aux européennes... Pourquoi, dès lors, faire une exception pour Emmanuel Macron ? Parce qu’un Président, dont chaque mot est scruté, notamment sur la scène internationale, et dont la pensée peut parfois se révéler complexe, n’est pas tout à fait un politique comme un autre. » Sans commentaires.

Mais ne voyons pas mal à cette volonté du Président de ne pas laisser passer une coquille, une faute d’orthographe ou une expression triviale dans son entretien, toutes choses qui pourraient trahir sa pensée complexe. N’est-ce pas lui, d’ailleurs, qui, lors de ses vœux à la presse en janvier 2018, déclarait : « Lorsque le contre-pouvoir que la presse constitue commence à être bâillonné, limité, encadré […], c’est la vitalité de nos démocraties dans ce qu’elles portent depuis plusieurs siècles qui est ainsi bousculée. » Et puis, un peu de dictée ne fait pas de mal : « Je dis moutonsses »...

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21 mai 2019 à 20:20

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