Cela passe inaperçu en France, mais l'Italie est sortie de l'Union européenne en matière de migrations : son nouveau gouvernement met en œuvre sa propre politique migratoire, déconnectée de Bruxelles. Mieux : elle est approuvée par le patron de Frontex (l’agence européenne des frontières) qui se félicite de "la fin de la naïveté" des Européens sur les migrants. Son directeur, M. Leggeri, a déclaré, début juillet, que l’Europe n’avait pas une "obligation unilatérale" en matière de sauvetage en mer et que le compromis sur les migrations (sommet européen des 28 et 29 juin) marque "un tournant de fermeté européenne […] par rapport à la gestion des migrants [et à ] l’exploitation par des groupes criminels de la détresse humaine [...] qui [...] d’une certaine manière prennent en otage moralement l’Europe" (Cnews). Les 28 ont aussi appelé les ONG à "ne pas entraver les opérations des garde-côtes libyens".

Toujours pour le patron de Frontex, si les plates-formes (de regroupement des migrants) sont créées, hors Europe, cela signifiera que "des navires de Frontex ou des navires privés [...] appelés au secours par les centres de coordination pourront débarquer les personnes sauvées dans le port sûr le plus proche et [...] cela peut être des ports non européens". "Il faudra voir concrètement qui met en œuvre ces plates-formes, avec quels pays […] mais cela cassera l’automatisme [...] consistant à se déclarer en détresse pour appeler des navires qui ramèneront les migrants en Europe. C’est un message fort vis-à-vis des criminels.". M.Leggeri a indiqué qu’à l’été 2017, Frontex avait observé que "parfois des secours en mer étaient organisés par des ONG de façon spontanée, autonome, non coordonnée par les autorités publiques. Ça mettait en danger [...] la vie humaine en mer […] Mais le but est aussi [...] de contenir la pression migratoire."

Par ailleurs, en toute indépendance de Bruxelles, le gouvernement italien a décidé, le 4 juillet, d’offrir douze vedettes aux gardes-côtes libyens pour aider à mieux lutter contre les tentatives des migrants de rejoindre l’Italie au départ des côtes libyennes. Cette mesure (décret-loi en Conseil des ministres) "vise à renforcer la capacité opérationnelle des autorités côtières libyennes afin de garantir la gestion correcte des dynamiques des phénomènes migratoires [...] lutter contre le trafic d’êtres humains, sauvegarder la vie humaine en mer et contenir la pression migratoire" (communiqué officiel). Le gouvernement s’occupera de l’entretien des douze vedettes ainsi que de la formation des forces libyennes. Selon le ministère italien, le coût total de cette aide est d’environ 2,5 millions d’euros (Le Temps). Le gouvernement est disposé à mettre en place tant le contrôle hermétique de ses frontières maritimes (avec répression des passeurs) que des plates-formes et couloirs humanitaires dans les pays de départ où les migrants seront regroupés, aidés, et leurs dossiers étudiés. À ce jour, l’Égypte, la Tunisie, le Maroc ont refusé. Pire : le 23 juillet, la Tunisie refusait de recevoir le bateau d’une ONG maltaise, chargé d'une quarantaine de migrants africains, bloqués depuis une semaine au large de ses côtes (Reuters). Toutefois, la Libye et l’Éthiopie commencent à coopérer avec l’Italie, qui appuie les expériences de couloirs humanitaires (corridoi umanitari), notamment dans les zones frontalières de l’Érythrée, du Soudan.

Bruxelles s'est contentée de proposer la création de centres permanents contrôlés (fermés) en Europe. Mais la France, comme d'ailleurs tous les autres pays, refuse d’accueillir de tels centres.

Quant aux plates-formes imaginées hors Union européenne, elles devraient être gérées par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR) et l’Organisme des Nations unies chargé des migrations. Les ambassadeurs de l’Union devaient discuter de ces propositions dès le 25 juillet, et une réunion avec le HCR et l’OIM est également prévue le 30 juillet à Genève.

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27 juillet 2018 à 7:48

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