Il y a cinquante-neuf ans, le putsch d’Alger

Peut-être plus que les faits, ce sont les hommes, les acteurs du putsch d’Alger, qui donnent à l’événement un caractère fascinant. L’armée française est, pour parler comme les économistes, à la fin d’un cycle de 48 ans de guerres presque ininterrompues depuis 1914. Cela explique que, parmi les protagonistes, qu’ils soient du côté des putschistes ou du côté des légalistes, se trouvent certains des militaires les plus prestigieux de l’armée française. Pour la dernière fois, des militaires ayant combattu durant la guerre de 40, en Indochine puis en Algérie, se retrouvent réunis sur un même théâtre d’opérations. Plusieurs d’entre eux ont même combattu durant la guerre de 14 : le général de Gaulle et le général Salan. Le général Ingold participera, à sa manière, aux événements en démissionnant du Haut Tribunal militaire chargé de juger les putschistes et en démissionnant de sa charge de chancelier de l’ordre de la libération, en juin 1961. Or, il a été mobilisé en août 1914, au 17e régiment d'infanterie coloniale (17e RIC).

Le putsch constitue, rétrospectivement, un baroud d’honneur à une armée qui est en passe de disparaître. Une armée qui fait la guerre : près de deux millions de morts entre 1914 et 1962 ; moins de 800 morts entre 1962 et 2020.

Pourquoi « une junte de colonels », dont le colonel Argoud, décide-t-elle du putsch ? Pourquoi le général Challe accepte-t-il d’en prendre la tête, suivi par les généraux Jouhaud et Zeller, puis, une fois le putsch commencé, par le général Salan ? Pour garder l’Algérie française. Un président de la République et un futur président de la République avaient dit : « Je vous ai compris » ; « L’Algérie, c’est la France ». Cette promesse, il fallait bien que des hommes la tiennent. C’est pour cela qu’ils franchirent le Rubicon, le 21 avril 1961. Pour honorer une promesse et pour défendre le territoire national. À l’aube du samedi 22 avril, la radio, à Alger, après avoir programmé le chant des Africains, diffuse un communiqué du général Challe : « Ici Radio France. L’armée a la situation en main. Soyez calmes. Allez à votre travail comme tous les jours. […] Je suis à Alger avec les généraux Zeller et Jouhaud et en liaison avec le général Salan pour tenir notre serment. Le serment de l’armée de garder l’Algérie pour que nos morts ne soient pas morts pour rien. […] Voudriez-vous renier vos promesses, abandonner nos frères musulmans et européens, abandonner nos cadres, nos soldats et nos supplétifs musulmans à la vengeance des rebelles ? »

Mais ça n’a pas marché. Après quatre jours et cinq nuits, le mercredi 26 avril, une partie des putschistes se rend, une autre poursuit le combat au sein de l’OAS.

L’honneur, c’est quoi ? L’honneur, c’est la poésie du devoir, écrivit Alfred de Vigny dans Grandeur et servitude militaire. Ils n’étaient pas des poètes, ils voulaient réussir. En mai 1961, le général de Pouilly, qui était en Algérie au moment du putsch, vient témoigner devant le Haut Tribunal militaire qui juge les généraux Challe et Zeller : « J’ai choisi la discipline, mais choisissant la discipline, j’ai également choisi, avec mes concitoyens et la nation française, la honte d’un abandon, et pour ceux qui, n’ayant pas supporté cette honte et se sont révoltés contre elle, l’Histoire dira peut-être que leur crime est moins grand que le nôtre. »

Ramu de Bellescize
Ramu de Bellescize
Maître de conférence à l'université de Rouen

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