Pour Télérama, le répondeur téléphonique serait un remède contre le confinement !

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On ne dira jamais assez à quel point le confinement peut avoir du bon. Par exemple, faire des choses qu’on délaisserait en temps normal, comme lire Télérama. Là, c’est la poilade garantie. On croit que c’est de l’humour ; mais ça n’en est pas, et c’est encore plus poilant. Il est vrai que ce bulletin paroissial catholique de gauche n’a pas tout à fait pour vocation de dynamiter les zygomatiques de ses lecteurs. Mais quand survient l’inattendu, c’est souvent à son corps défendant.

Ainsi, cet article du 11 avril dernier : « Confinement : huit répondeurs à appeler pour parler, crier, chanter, et rompre l’isolement. » Mais de quoi t’est-ce que de s’agit-il donc en fait ? Tout simplement d’une sélection de huit répondeurs, tous plus joviaux les uns que les autres – ne manque plus que celui de l’horloge parlante –, à appeler en cas de grande détresse et propres à évacuer le stress de nos compatriotes.

Comme le dit souvent ma chère copine Marie Delarue, bien connue de nos lecteurs : « Plus fort que Big Brother, il y a Big Mother ! » Après le goulag mou, la pouponnière pour grands enfants, en quelque sorte. Ainsi, de Radio Parleur, « média engagé » et accessoirement « le plus élaboré », à RFI, « le plus rêveur », il est désormais possible d’abandonner, telle une bouteille à la mer, d'impérissables pensées.

Côté « rêveur », cet immortel message : « J’ai rêvé qu’on se faisait livrer du Picard et, en ouvrant les cartons, on découvrait que c’était du pangolin. » On notera que RFI, pour Radio France International, est la radio qui, précisément, est la voix de la « France » à « l’international », occasion de remarquer que l’argent du contribuable ne se trouve pas en vain dilapidé et qu’à l’étranger, personne ne se risquera à se payer notre fiole. Voilà qui donne envie de participer. Tiens, je laisserais bien ce message : « Hier soir, ayant noyé le coronavirus dans l’alcool, j’ai cru m’endormir avec Pauline Lafont, avant de me réveiller au petit matin avec Pauline Carton. »

Plus sérieusement, voilà qui donne une radiographie pour le moins intéressante de ce que la société française est devenue ; soit celle de l’ultra-moderne solitude, cette chanson d’Alain Souchon remontant à 1988 et qui raillait déjà l’individualisme ambiant. En effet, quoi de plus seul qu’un individu, fût-il à tout va connecté ? Pour trouver l’âme sœur, il n’a plus que Meetic, au lieu des bals populaires et des terrasses de café d’autrefois. Pour fonder un mariage, Tinder a remplacé les Mesdames Mado de jadis. C’est moins humain, mais plus « pratique », pour reprendre l’actuel credo de la modernité.

Pis, invasion des réseaux sociaux oblige, tout le monde estime aujourd’hui avoir quelque chose à dire, même si personne n’a véritablement rien à dire de proprement fracassant. Autant parler à son cheval. Ou à un répondeur. Est-ce à prétendre que ces gens n’ont plus famille ni amis ? Même pas un vague copain avec lequel échanger blagues de Belges ou de blondes, le reste étant depuis belle lurette prohibé ?

Il est à craindre que oui, et c’est à pleurer. Heureusement, petite lueur d’espoir : dans ma cambrousse, le rire de résistance – comme dirait Jean-Michel Ribes – s’organise dans la clandestinité. La preuve par L., patron du B. des sportifs, ou Bar des S. à G. dans le département des Y., qui profite des livraisons de cigarettes et de Colissimo pour ériger une barrière sanitaire de cartons visant à éloigner d'éventuels contrôles. On peut ainsi y licher un petit vin blanc, loin des regards accusateurs, et y rigoler pour de vrai. Exercice citoyen qui présente au moins l’avantage d’avoir une autre gueule que celle consistant à postillonner avec un répondeur téléphonique pour seul pote du jour.

Et c’est ainsi que la France demeure grande, malgré tout.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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