Il n'est jamais trop tard pour célébrer une parenthèse magique. La grise quotidienneté, durant quelques heures, a accepté de laisser la place à une joyeuse et impeccable solennité.

Cela s'est passé certes en Angleterre, à Windsor, mais je ne vois pas au nom de quoi la France n'en aurait pas été capable.

Il y a eu des esprits grincheux mettant de l'idéologie partout qui ont tourné en dérision l'immense curiosité suscitée par le mariage de Harry et de Meghan, vitupéré le caractère somptuaire de ces festivités et regretté que les problèmes dits sérieux aient été relégués au profit du bonheur éclatant d'un couple et d'une royauté toute de majesté et d'allure non empesées.

J'entends bien le reproche de futilité qui pourrait être adressé à tous ceux qui, même pour cette occasion seulement, se sont passionnés pour cet événement unique. Il n'empêche que rien n'est dérisoire - aussi éloigné de nous, éclatant et extraordinaire que cela soit - qui nous éclaire sur notre monde et les appétences profondes qui résident en beaucoup d'entre nous et ne sont pas contradictoires avec les fibres républicaines les plus assurées.

Ce qui dominait tenait à la grâce et à la beauté de Meghan, moins altières que familières, ne la séparant pas du commun des humains mais permettant juste de les admirer, d'en être ravis, sans jalousie ni aigreur. Il y a des esthétiques qui font mal parce qu'elles révèlent un gouffre. D'autres qui rassurent parce qu'elles rassemblent même si elles ne nous ressemblent pas.

Dans la formidable sympathie qui s'est extériorisée à l'égard de l'un et de l'autre, il y avait la certitude d'un capital d'humanité, de sensibilité et de gentillesse qui abolissait les frontières et constituait un monde à part comme le nôtre. En chacun de nous, l'expression d'un étonnement et d'un soulagement : il nous était donc possible de nous rapprocher d'eux en même temps qu'ils tombaient dans l'heureuse banalité de l'amour, des gestes et des regards partagés par tous dans le commun de l'existence.

Comment, aussi, ne pas ressentir, à l'arrivée de ce flot dense et élégant d'invités qui mêlaient l'aristocratie aux artistes, les titres nobiliaires aux chanteurs et le gotha britannique aux acteurs et aux joueuses de tennis, l'allégresse de pouvoir admirer sans retenue ni acrimonie l'homogénéité de la classe et de la tenue, le refus de la vulgarité et de toute dissidence grossière, l'harmonie d'un conformisme voulu et accepté ? Le plaisir des yeux était amplifié par l'hommage qu'une société, une civilisation se rendaient à elles-mêmes. On percevait l'épopée dont elles avaient été capables et aussi la tradition qui les maintenait.

Peut-on aller jusqu'au bout et tenter une approche politique ? La réflexion du président de la République sur le vide qu'avait créé, en France, la décapitation du roi et sur le besoin de notre monarchie républicaine de le combler le moins mal possible est tout à fait pertinente. Il ne s'agit, en aucun cas, de souhaiter un changement de régime même s'il y a des royalistes convaincants. Mais seulement de reconnaître que les enthousiasmes collectifs sont d'autant plus purs, limpides et unanimes que nulle once d'esprit partisan ne vient les troubler, les entraver.

Vive les Anglais ! Ce 19 mai, ils ont su dépasser les controverses de la politique pour s'abandonner à une exclusive béatitude, se regardant dans le miroir d'une royauté sans véritable pouvoir mais, grâce à cette structurelle carence, source de lien et d'unité.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 20:04.

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21 mai 2018 à 15:40

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